Questions et réponses : agenda ironique de février 2021 (2)

#agenda ironique février 2021

par Rémige

*

C’était une merveille à nulle autre pareille.

Un anneau d’or mêlé des plus précieux métaux,

            « J’ai eu chaud ! » Il enleva prestement l’anneau de son doigt et le glissa entre les pages du livre. Ranquel referma le gros volume aux pages jaunies par le temps, à la reliure en cuir de buffle décorée de petites écailles. Il tentait vainement depuis des heures d’ en déchiffrer les secrets.

            Il ajusta les parchemins enroulés qui parsemaient la table de bois sombre en prenant l’air affairé, et accueilli dans la pièce le vieillard chenu qui entrait.

            « Alors, Ranquel, tu as avancé ton ouvrage, ce matin ? » dit le magicien avec un regard bienveillant.

            «  Oui, oui, maitre, j’étais sur l’ Irae Draconis depuis l’ aube. C’est une source intarissable d’ enseignements. » Il arborait un sourire satisfait pour dissimuler son trouble.

            Le vieux mage observa le recueil vénérable. La désapprobation qui se lisait sur son visage augmenta la nervosité de Ranquel.

            «  Tu sais que seules les premières pages de ce livre de haute magie te sont accessibles bien sûr. Que de toute façon les autres, qui nécessitent de longues études préalables, ne seront que signes mouvants et incompréhensibles si tu avais l’ imprudence – ou plutôt la folie pensa le magicien – de chercher à les lire. »

            L’ étude de l’ Irae Draconis n’était pas au programme des novices. L’ ouvrage renfermait des trésors qu’il fallait mériter. Et contenir même, pour certains .

Lorsqu’ on ouvrait le livre, les pages des sorts mineurs étaient lisibles, mais les autres étaient remplies de signes mouvants qui se déplaçaient sans ordre sut tous les feuillets. Ils s’ arrêtaient subitement, formant un baragouin incompréhensible aux mages inexpérimentés, pour repartir dans une danse chaotique au long des pages du codex.

            Ranquel redressa la tête d’un air de défi.

« Je ne suis pas archi-mage, certes, mais mon rang et ma haute naissance me donnent des droits ! Ma famille te paye pour ces études fastidieuse. Et tu sais parfaitement que ta propre magie me permettrai de les écourter si tu n’avais pas peur de me voir te rattraper sur le chemin de la connaissance arcanique. »

 L’apprenti pensa avec envie à l’anneau qu’il venait d’ esssayer de voler, caché maintenant entre les pages du livre. Houaïde Ouaibe , l’ anneau de savoir.

Il donnait à celui qui le portait le savoir de tous les livres réunis. Qui posait la bonne question avait la connaissance de toutes les réponses écrites. Le porter trop longtemps était un fardeau, faire appel à lui de manière inconsidérée pouvait être une douleur.

            Le regard du vieillard se voilà quelque peu. « Tu me paraît bien impérieux, ici tu n’es qu’au début de ton parcours .

  • Mais j’ai déjà bien avancé sur ce livre » dit Ranquel d’un air de défi en posant la main sur la reliure cramoisie.

Le mage caressa les larges écailles aux reflets mouvants qui décoraient ses poignets.

            «  Certes. Mais il suffit, tu ne garderas de son étude que ce qui se trouve dans les pages réservées aux novices. Tu n’iras pas plus loin, je te chasse de cette salle, et de ma demeure. »

            Sous le choc de la déclaration, Ranquel regarda le livre de magie. Avec un sourire mauvais, apercevant la forme de l’anneau coincé entre les premières pages, celles des novices, il répondit au magicien :

« Entre les premières pages dis-tu, vieux fou ? Alors je pars avec mon dû. Regarde ce que j’y trouve ! »

Ouvrant le livre et passant prestement l’anneau à son doigt, il montra fièrement l’ objet de sa convoitise. Stupéfait, le vieil homme eut un mouvement de recul.

            « Malheureux, qu’as-tu fait ! Cet anneau se mérite ! Le possèder est une charge, sais-tu ? Tu pourrais par ma folie le réclamer. Quand à le porter, c’est lui qui te porterait. Il te faut pour le brandir ainsi répondre à mes questions.

  • Mais pose les donc, homme dont le temps est passé. J’ai toutes les réponses à ma main » répondit Ranquel.

Les yeux du sorcier se plissèrent et une crispation de dureté déforma ses traits. Il leva les bras en l’ air , faisant descendre les larges manches de sa tenue. Les lords bracelets d’écailles de ses poignets ne glissèrent pas vers le bas. Ils se mirent à luire doucement, puis de plus en plus fort.

Leurs couleurs se firent plus intenses. Jaune, orange, rouge, noir, gris. Toutes les couleurs du feu. Une vapeur méphitique sortit des écailles, qui se mirent recouvrir les bras du magicien.

            Ses traits se déformèrent, il tomba à genoux. Tandis que les écailles recouvraient tout son corps dévêtu, il se redressa enfin pour se présenter en majesté.

            «  Je suis Vermitrax . Seigneur des braises , Ami des fumées. Qui es-tu pour me faire sortir de ma retraite ? Réponds maintenant, être de peu de vie. Une question pour survivre, une question pour l’anneau.     

            Ecrit, il disparaît.

            Il se dit sans un mot

Quelle est ta réponse ? »

Ranquel réflèchit un moment. Ne trouvant rien, il fit appel au pouvoir de l’anneau magique. Il entendit à l’intérieur de sa tête une voix lui souffler , comme avec regret, une réponse.

            « Un message ! Cria-t-il avec un sourire victorieux, puisant sa réponse dans les livres qu’il n’avait pas lus. Une fois écrit il disparaît dans une enveloppe, ou bien il est roulé et protègé. Il se dit sans un mot s’il n’est pas prononcé mais simplement lu. »

            Le dragon eut un sourire mauvais.

            « Ce n’est pas ta réponse, c’est celle de l’ anneau. Alors donne moi la tienne ou la vie te fera défaut. ».

            Consterné, Ranquel se figea.Il réfléchissait, paniqué, tandis que Vermitrax le regardait dans un silence lourd de futurs désagréables. Un silence… Le silence…

            «  le silence ! S’écria-t-il, béat de soulagement. Oui le silence qui disparaît quand on l’écrit expliqu’a-t-il en montrant la table devant lui. Les plumes, les encriers, les rouleaux de sorts n’y étaient pas encore rangés. Le silence disparaît quand la plume gratte le papier pour écrire « silence »

            Et il se dit sans l’aide d’un mot lorsqu’on ne prononce aucun son ! »

            Vermitrax eut un soupir désappointé.

            «  Alors c’est bon, tu auras la vie sauve. Après tout ton forfait n’est pas encore accompli. Mais, ajouta le dragon en souriant, pour l’anneau tu mes dois une réponse ». Il inspira lentement, gonflant ses poches à feu-ardent, sous sa gorge écailleuse.

            «  Alors pour ta contrition tu auras deux énigmes. La première tu la connais :

            Ecrite, elle disparaît.

            Elle se dit sans un mot .

            La seconde, la voici :

            Elle en a deux,

            Et pourtant, aile n’en a qu’un.

            Qu’est-ce que c’est ? »

Abattu, Ranquel regarda avec espoir l’anneau magique. Il réalisa que le métal semblait se déformer légèrement ; Les délicates ciselures évoquant des reptiles ailés commençaient à s ‘animer, tandis que le métal paraissait s’échauffer un peu.

            « Pour la première, je t’ai déjà donné la réponse, ne te déjuge pas », risqua Ranquel par bravade.

            « C est une mauvaise réponse, dit le dragon en gonflant encore ses poches à feu-ardent. Alors, la seconde, et maintenant, » cria-t-il en se déployant au dessus du novice effrayé.

            « Pitié, Maitre des flammes, Grand ver du feu maitrisé, comment pourrais-je trouver la réponse ?

Elle en a deux, et pourtant elle n’en a qu’un ?

Je ne sais pas… Si ! C’est une femme, qui a un mari et un amant . Deux hommes qui l’aiment, et un seul mari.

Ou bien une mère, qui a deux enfants. Elle n’a qu’un fils, car elle a aussi une fille » ajouta Ranquel, désespéré.

            « Assez est assez, dit le dragon. Il suffit. Je te reprends l’anneau. En échange je te donne deux réponses, qui ne sont qu’une et sans un mot.

La seconde énigme est la réponse de la première.

C’est l’énigme elle même qui disparaît si on l’écrit : en la lisant, point de question.

« Elle » a deux « l », tandis qu’ « aile » n’en a qu’un.

Elle se dit sans un mot , car « l » n’est qu’une lettre…

Comme celle que l’on  met dans l’enveloppe,

 qui va disparaître,

puis être révélée

sans un

mot

L

©Rémige 2021

C’était la première participation à l’agenda ironique de février 2021 par Remige qui dépose son texte ici sur poesie-de-nature. Pour avoir le détail du thème du mois « dragons et chimères », c’est chez Frog, de In the writing garden qu’il faut aller voir : ICI. car c’est elle qui orchestre ce mois-ci l’agenda!

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22 commentaires sur “Questions et réponses : agenda ironique de février 2021 (2)

  1. Fameux ! 😉 et flippant. J’étais tout autant stressée que l’autre pour la 2ème énigme, J’ai d’abord pensé au E, la 1ère lettre de Enchanté ou Ensorcelé, mais… alors au mot « œufs » pour des individus ailés…
    L c’est aussi la 1ère lettre de Love ❤ pour te dire que j'ai beaucoup aimé ton texte, Vérojardine

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    1. merci pour Rémige, il viendra répondre ce soir. L comme love, au printemps, Patchcath, c’est sûr, il y a une piste… Merci de ton avis et passage et merci de ton univers; c’est amusant, avec ces blogs, de faire l’expérience, de tisser au delà des avis échangés, et des propositions multiples, celle d’un accordage tout à fait singulier 😉

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  2. Un anneau, un dragon, un magicien, un grimoire : me voilà très contente. Et des énigmes pour se débarrasser d’un importun, c’est une excellente idée ! J’aime comme ce dragon se retient très fort de rôtir tout son monde… Merci beaucoup à Rémige de sa participation !

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  3. Bon jour,
    J’aime beaucoup de « conte » fantastique… on est directement dans le feu de l’action 🙂
    Pour la deuxième énigme j’avais pensé : « Elle en a deux » : narines … « et pourtant elle n’en a qu’un » : odorat 🙂
    Belle participation. Bravo !
    Max-Louis

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  4. Excellente histoire de dragon avec une vraie énigme devinette ! En voillà une autre, inspirée de ton histoire « elle en a deux, il lui en manque une, elle les a presque toutes ». La réponse ? elle a presque toutes les voyelles, elle a deux e, il lui manque le u » = Vérojardine ! 🙂

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