Une semaine en ville : agenda ironique de janvier 2021

#agendaironique

Raconter une semaine en ville inconnue, réelle ou imaginaire à la Calvino. Y insérer une liste en sept points, le nom Onésime, le mot réverbère. Y mettre à discrétion une pincée d’agenda et une autre d’ironie. Voilà ce que proposait Carnetsparesseux ce mois-ci dans le jeu d’écriture itinérant, j’ai nommé « l’agenda ironique ». Pour les explications plus complètes : C’est ICI.

Au pied du réverbère, il fouille le fond du cabas. Avec ces lampadaires basse consommation dernier cri, on n’y voit plus rien, et ce matin, c’est purée de pois… Monsieur Ledoux s’agite. Il se souvient qu’il y avait sept choses à faire sur la liste, ça ne devrait pas être difficile de la reconstituer s’il ne la retrouve pas. Enfin ça, c’est vite dit. Sa fille appelle ses petits bouts de papier griffonnés son « rappelle-tout ». C’est dire si c’est important.

Elle est gentille la fille de Monsieur Ledoux. Elle travaille à la pharmacie. Elle va livrer les médicaments des personnes qui ne peuvent pas se déplacer. Et les gens lui rendent bien. Par exemple l’autre jour une petite dame qui s’était fait livrer n’avait pas la monnaie. La fille de Monsieur Ledoux lui a dit « c’est pas grave ». Et bien le lendemain matin, ni une ni deux, la dame était dans la pharmacie pour rendre la monnaie. La fille de Monsieur Ledoux était une peu verte quand même : » Ben si vous êtes là ce matin, c’était pas la peine que mon GPS se perde dans votre campagne hier soir.

-Pour sûr, si, c’était gentil de venir me voir. Et puis là en plus de la monnaie, je venais vous prendre la boite de Dolicrane que j’ai oubliée de noter sur ma commande ». Les listes, c’est important…

Le matin avant d’aller travailler, la fille de Monsieur Ledoux va porter les courses qu’elle fait à son père depuis cette semaine. Elle lui dit ce qu’elle a trouvé ou pas au magasin, et laisse le filet de Garofour sur le palier. Lui, fait un signe de la main et la regarde partir par l’ascenceur. Aucun son ne sort de sa gorge. Puis il ferme doucement la porte, saisit son chapeau, son manteau, les clés de voiture et sort acheter son journal dans la galerie de Garofour. C’est important d’avoir le journal le matin…

C’est si bizarre cette semaine en ville. A croire la télé, c’est la guerre. Monsieur Ledoux, lui, il a connu la guerre. Paris bombardée, il l’a entendue depuis son dortoir, tout seul, quand les autres étaient chez eux. Il se souvient quand il rentrait de la pension, tout gamin, le vendredi soir, avec un copain, mais parfois seul. Dans le train qui parcourait la campagne il lui est arrivé de voir depuis la fenêtre les avions bombardiers passer. Le ciel se barrait d’éclairs et la ligne des collines avait un éclat bizarre. C’était tombé quelque part. Mais quand il arrivait au village, tout allait bien. Jamais il n’aurait eu l’idée de raconter cette histoire à sa famille à ce moment là. D’ailleurs il ne l’a jamais racontée non plus plus tard à ses enfants et petits enfants. Juste au gérant de son restaurant préféré du midi… Et encore, il lui en avait parlé parce qu’ils ne se connaissaient pas depuis longtemps.

« En ville étrange, j’erre » avait -il dit en passant à celle qui s’est installée depuis peu au rez-de-chaussée. Et il lui demande aussi où était parti son cousin Monsieur Onésime qui était venu quelques jours lui rendre visite. Un gars sympa qui avait l’air de bien vadrouiller : Parti après avoir écouté les nouvelles à la radio.

Tout fonctionnait parfaitement jusqu’à ce matin humide, sous le réverbère. Il retrouve la liste dans sa poche. Ça le rassure les listes:

-acheter une carte d’anniversaire à ma fillefaire changer les deux lampes du couloir par son ffaire changer les deux lampes du couloir à mon fils

-faire changer les deux lampes du couloir par mon fils

-lui faire acheter les lampes aussi

-demander comment on installe le bridge sur la tablette à mon fils;

-et s’il ne sait pas, lui demander d’installer des sodoku sur la tablette. Sinon demander à Monsieur Onésime s’il est encore là, il est débrouillard en ordinateur

-demander à mon fils de réparer le radiateur près de la télé ou acheter un bonnet

-demander à mon fils ( ou à un autre de mes fils) de m’expliquer le niveau médium du vélo d’appartement que j’ai eu à mon anniversaire

-acheter le journal

Et puis sans savoir comment, dans ce brouillard à couper au couteau, Monsieur Ledoux trébuche et tombe de tout son long sur le parking de Garofour. Il crie à l’aide très fort bien sûr. Un vigile du centre commercial se précipite.

« Faites attention , dit-il à celui qui le ramasse. Je suis sous anti-coagulants, je saigne beaucoup. Ni une ni deux, Monsieur Ledoux se retrouve alors dans une ambulance qui l’amène aux urgences. Il en sort deux heures plus tard avec un bandage du poignet droit, une suture de l’avant bras et un sourire ravi. Ils sont tellement aux petits soins là-bas. Et puis, c’est quand même animé les urgences à l’heure de pointe, ça distrait, c’est vivant… Sa fille qui vient le chercher fulmine de le voir là en pleine épidémie …

Mais non, faut pas … il y a un temps pour tout. Monsieur Ledoux fait le confinement puis il a besoin de sortir, de prendre un temps où il peut bouger, voir du monde. Alors s’il peut voir du monde, le personnel hospitalier par exemple, il pourrait peut-être voir sa fille? Ben non, c’est une soignante, elle voit trop de gens à risque…

Aux dernière nouvelles, Monsieur Ledoux fait ses courses lui-même depuis cet épisode. Mais au deuxième confinement, il se sent seul. Il décide d’aller en maison de retraite pour personne valide. Après avoir tourné et viré dans la région, il choisit le lieu idéal. Pensez donc, un restaurant tous les midis sur place. Il emménage dans un studio tout neuf. Ça dure très exactement 4 jours – quatre – l’affaire. Puis au matin du cinquième jour, Monsieur Ledoux prend rendez-vous avec la directrice et décrète qu’il ne va pas moisir ici. Au restaurant beaucoup sont très invalides et qu’il n’y a pas grand monde qui parle de foot. Sa fille lui fait remarquer que malgré son grand âge, il est dans les plus vifs parmi ceux qui vont au restaurant de l’établissement. Mais il peut aussi faire la popote dans son studio. Non, pas de temps à perdre…

Ni une ni deux, il fait redémonter la télé par un de ses fils et revient en ville. Il trouve qu’il a exagéré cette peur de tomber, et qu’un bracelet électronique de surveillance fera l’affaire. Son appartement lui semble à nouveau plein de charme, et il va faire ses petites courses en voiture ou à pied. La contrainte du masque, il en fait son affaire.

©Véronique Bonnet 2021 

Le temps s’étire (slam)

* photo : L. Cattin

#agendaironique

Tu dis temps difforme, 

Tu dis temporiser

Risette, reset 

En pointillé, titillé,

T’y es… 

Be sex style!

Bretzel liquide, 

Tout fout le camp…

Le temps…

Inconséquent, vacant, grandiloquent,

Manquant, provoquant, impliquant, pratiquant, urticant…

Puis…

Tu ne penses qu’au vide

Te mouches dans ton coude

Et t’appuies sur le vent- à défaut de t’appuyer sur du vent-

Pendant que les hoquets du temps

Egrennent les jours 

D’une année noire

En fin d’année blanche.

Telle une damnée

Elle sonne déjà la fin d’un temps gaté

Sauvegardé, ligoté, piloté.

Un rien me dit alors…

Voici venir le temps des livres-

Le temps de l’âme 

Le temps de ta flamme-

Alors, si je comprends bien,

Voici venir le temps de vivre…

La vie émerge partout, en flux continu. 

Averses passent, arc en ciel en vue

Gouttes unies en fractales et vibrations

Ajoutent voile de douceur au quotidien. 

Un futur pas si éloigné que ça décrit des brochettes de criquets grillés, des consommés de petits animaux rampants à la menthe du jardin, et autres délices locaux à partager avec convivialité autour du feu, dans une version alterne d’un album d’Uderzo ( avec pages Vegan en bonus pour les irréductibles). Certains en regretteraient presque le temps béni de la bombance plus classique des confinements …

Y aurait-il un temps pour tout?

©Véronique Bonnet

( partie finale en musique, bien sûr, compte tenu de notre organisateur du mois ! )

C’est un écrit en participation pour l’agenda ironique, défi d’écriture itinérant, de blog en blog tous les mois. En novembre, le blog Toutloperaoupresque nous proposait de nous inspirer très librement d’Ecclesiaste 3 pour un texte comportant l’expression « Bretzel liquide », et de rajouter un anapodoton, qui est une forme d’anacoluthe ( je ne connaissais pas ces bestioles, aussi, veuillez recevoir toutes mes excuses à l’avance, chers participants et lecteurs si je n’ai pas élucidé ce point-là… qui reste un peu confus en moi…). Pour les explications plus complètes, VEUILLEZ CLIQUER LA OU LA.

et LA POUR AGENDA IRONIQUE KEZAKO *photo L. Cattin

A bientôt !

Et comme tout finit en chansons chez toutloperaoupresque :

Tiempo cubano, heure cubaine … une version très réussie de Chan-chan

Demain, demain, une spéciale qui reporte à demain

Carmina burana
Le reste du temps

One love

Ici jaimelamusiquemaisjenyconnaisrienenenchainement, à vous presquetoutloperaoupresque, merci pour ce thème original de l’agenda ironique où il n’a pas été aisé de faire fondre un Bretzel…

Agenda ironique de septembre 2020 : les textes ( et votes)

#agendaironique

Tous les textes : Ce mois-ci, je vous proposais de vous mettre dans la peau d’un animal pour écrire une histoire contenant 4 mots imposés et deux phrases de Lewis Carroll. Les explications ICI. ( les humains étant autorisés par ordonnance express à entrer dans le conte…)

Un début d’Automne lumineux, et ici le panel d’animaux conteurs réels ou imaginaires; défilent : vies de chiens et de chats, un crapaud précieux, silhouettes nocturnes esquissées, éléphants et suricate sur le chemin dérangés, insectes velus en bataille, un certain pangolin qui veut découvrir la ville, un escargot voyageur, Dahu et Haguis, un oiseau qui déploie ses ailes, et une fable pour la route, le corbeau et le chestshire … Vous avez jusqu’au 27 septembre pour déposer votre contribution : LA, dans les commentaires; je la rajouterai dans la liste ( au dessous). Vote (très très sérieux, n’est-ce- pas, comme toujours) en fin de mois. Vous savez tout ! Bonne lecture à vous et belle journée !

Au 27 septembre, nous voilà avec un bestiaire de 12 textes que j’ai eu grand plaisir à découvrir au fur et à mesure. Merci de vos participations toutes originales ( et bon courage pour les votes )… Au 31 pour les résultats et passer le flambeau du prochain organisateur !

  • Errances ( Rowane Mayfair, Eclats de plume )

https://eclatsdeplume.blog/2020/09/05/agenda-ironique-de-septembre-2020-errances/

©Véronique Bonnet

Votes ( jusqu’au 30 septembre) :

Eh bien eh bien… Bravo à carnet paresseux et son fameux corbshire qui a eu le maximum de suffrages… suivi d’Emmanuel Glais et Dominique Hasselmann. Merci pour vos participations et échanges pleins de bulles et de pétillants! D’ailleurs, regardons l’heureux organisateur du mois prochain : Carnets paresseux et, ou Victor Hugotte, nous allons très vite le savoir … Un bel automne à vous

Véronique

Décontamination

Fin de matinée.

Cette femme ironise beaucoup sur la situation du moment. Elle évoque ses problèmes de loin, comme à son habitude, faussement détachée. A chacun sa façon de gérer.

Alors que la consultation est terminée, elle dit de but en blanc sur le pas de la porte : «  Et avec tout ça, mon fils, sa femme et mes petits enfants sont bloqués en Angleterre, pas moyen de les voir… » Nous échangeons quelques minutes puis elle coupe court, se met à rire et tourne les talons. Il est midi.

Je sors et fait deux ou trois pas avec elle, au soleil. A gauche les lavandes cavalcadent à la brise du zénith et devant les roses semblent briller de toute leur présence. C’est apaisant.

Je lance un improbable : «  Qu’est ce que les roses ont profité de ce beau temps, regardez, elles sont magnifiques cette année! »

La femme se retourne vers les buissons fleuris, puis vers moi. Son regard tente une ironie. La gaîté essaie de s’accrocher mais seule sa bouche sourit. Elle s’arrête, puis passe le portail.

Il gît au milieu de l’allée une sensation d’inachevée, de vide. Je m’avance encore au milieu des fleurs pour évacuer ce sentiment de vague malaise.

« Tu as planté ce jardin pour les autres mais aussi pour toi… Tu peux nous cueillir si tu le veux !! » disent les roses soudain  !

Je reçois le silence de midi cinq sur cinq, autre chose aussi.

Il est vrai, j’ai toujours préféré garder  les fleurs sur pieds, dans ce jardin où passe du public, tourner autour, les sentir, les regarder.

« Tu as le droit de nous cueillir… »

L’effet est immédiat… Je rentre précipitamment chercher un sécateur; je ressors et coupe sur les quatre rosiers les fleurs qui débordent. Je fais un bouquet énorme, que je ramène chez moi… Le soir, je remets ça… Sécateur, coupe, bouquet, sourire jusqu’ aux oreilles…

Cette fois, j’offre le bouquet à ma fille. Je prélève une fleur que je donne à mon fils en commentant : «  les fleurs, c’est pour nous aussi ! ». Nous éclatons de rire devant l’évidence. 

Depuis, je m’offre plus souvent les fleurs du jardin d’accueil. Les rosiers, quant à eux, s’en portent encore mieux, peut-être aussi parce que je les regarde encore plus.

©Véronique Bonnet

Le confin ne ment

« Je ne me suis jamais sentie vieille, mais grâce au confinement, c’est fait! »

dit Marie, au début de l’atelier de méditation. Adapté avec les outils numériques -qui l’eût cru?-, téléphone pour elle, visio pour les autres, nous voilà suspendus au retour de chacun, avant de commencer la séance. Et Marie est en verve.

Toutes ces règles sur les plus de 70 ans, elle les a vécues comme des mesures qui disent de façon maladroite la protection organisée. 

« En voulant protéger ainsi, vous nous enlevez notre vitalité » semblait dire Marie. 

La situation a révélé ce qui était là, sous l’iceberg. Une société basée sur la peur, engendre le désir du toujours comme le refus de l’aléa. Elle propage aussi la confusion par le paradoxe des annonces. Le monde du doute, de la suspicion, s’en nourrit, s’assombrit, en lieu et place de celui de la confiance et de la lumière. Savons nous ce que nous voulons nourrir, comme dit l’adage?

Que dire de l’effet déshumanisant des annonces des morts en direct, à portée d’oreilles d’enfants, du manque de lien, de la solitude ou au contraire de l’impact de la promiscuité? En retour de ce virus, j’ai fait l’expérience de l’impuissance dans un contexte où je ne pouvais m’appuyer que sur … ma respiration et le lien humain. J’y ai senti, au milieu de tout ça, l’explosion d’une liberté, celle de l’être au delà des murs.  J’ai ouvert mes carnets, mes écrits en attente, et j’ai écris encore, décidée à ne plus attendre. Et j’ai beaucoup aimé partager en visio… Qui l’eût cru? Même pas moi!

Au delà de la cabane, la liberté ressentie me porte. 

Alors, oui , Marie, bien sûr que je les vois tes yeux pétillants de vie, la poésie dont tu parles en t’excusant. 

Regarde, comme tes mots harmonisent  ton corps bandé comme un arc. 

Ce corps a fait des arts martiaux; il s’en souvient parfaitement. Tu le ressens révolté à l’idée d’une confiscation de la liberté d’être.

Le paradoxe dehors agit dehors aussi : « Profitez donc » semble me dire encore une fois l’allée de roses qui n’a jamais été aussi belle que cette année … 

«  Un petit masque, Marie, comme un écran, n’empêchent pas les cœurs de battre ensemble… Nous traversons cela… tu le sais bien, dans l’humour aussi, toi au téléphone et nous en visio, dans le même temps. Et nous ressentons quand même l’être ensemble de façon impressionnante. Un groupe porte et soutien, quel qu’il soit. Le lien est une clé.

 Écris tout ça ! » lui ai-je dis.

©Véronique Bonnet

… Et voici ce qu’elle m’a envoyé : 

Texte : Passage à l’état Vieux des confinés dès 65 ans

V…

« Soleil Vert » décliné en confinement

65 ans – 1 seconde, et à la seconde suivante

La rupture de cycle s’est produite sur le tableur,

Tu ne réponds plus à la scorecard du présent,

Ton mode d’adaptation à la circonstance demeure

Et la valeur française au XXIème siècle : le Vieux

Liée à bien des facteurs t’envoie vers d’autres cieux.

Vétéran, vieux, vieille, vieux con, vénérable, anciens, politiquement correct « seniors » attention

V comme virus, stop, danger, Covid..

A l’annonce, rendez-vous déplacés

Vie organisée sans ennui avec créativité

Action, réaction, bougeons, donnons

Ecoutons, tout simplement vivons.

Petit air d’été en mode Soleil Vert :

Les edelweiss regardaient le ciel

Les choucas battaient des ailes

L’air frais emplissait tes poumons

La neige jouait sur tes crampons

Le vent entonnait son refrain

Tu marchais vers les Ecrins

Petit air médiatisé made in France :

Et soudain, le couperet est tombé « vieux »

Ta forme s’est recroquevillée sous la sentence

Tu n’as pas vu venir les experts en aïeux

Alors que tu vivais avec la pleine conscience

De toute cette actualité tellement nourrie

Par bien des voies différentes et des non-dits

Quelles que soient tes compétences, l’humain est objet

Le sujet est décliné, et malgré ton adaptation

Il s’est généré un processus d’insertion

Pour te faire passer en une seconde de l’état actif

A l’état passif qui pourrait rapidement devenir létal

Si tu ne savais tirer profit de tes expériences en général

Voici venir le temps de continuer à croire à la vie et au présent

Voici venir si nous n’y prêtons pas attention un soleil verdoyant

Vieux tu es nommé mais la valeur n’est qu’une donnée

Vérité, contre-vérité, velléité, volonté, vertige et relativiser.

+1 seconde à la césure de la classification

©Marie Chevet