Le temps qu’on ne peut pas figer : la fin de l’idéal

#agendaironique#conte

 

« Tandis que les autres demeuraient silencieux, il se mit à aller et venir, fouillant dans tous les tiroirs ».

-Mais où est donc la fichue carte de ce bistrot, Maryse?

-Mais là où tu l’a rangée la dernière fois, René !

Ils invitent leurs enfants au restaurant. Pas n’importe lequel, celui qu’ils ont mis longtemps à dénicher : Une perle dont ils gardent l’adresse depuis tant d’années !

Le petit trésor se tient au fond d’une calanque, sur le port. Les cabanons rustiques habités par les cigales, sont blottis contre la roche en amphithéatre. Les herbes aromatiques de la garrigue moutonnent de ci-delà. Un condensé de la saveur méditerranéenne, un poil cliché.

Dans cet écrin délicieux, il n’y a plus qu’à se laisser porter par l’air doux de la fin d’après-midi… se disent tout bas, Eric, le fils et sa femme Patricia.

La terrasse est bien garnie de marseillais. Il est vrai que le « Mangebien », est un petit restaurant d’habitués qui se déplacent parfois de loin pour les plats typiques que l’on y sert.

René, le père, qui était parti garé la voiture arrive d’un pas pressé, s’assoie le dernier et commence à faire l’article du lieu.

– Vous connaissiez ici ?

Vous allez voir, ici c’est différent de la côte d’azur, il n’y a que des indigènes, des gens du coin tout autour de nous ! »

Le regard de Patricia la belle-fille reste droit pour éviter les regards biaiseux d’éventuels

« indigènes ».

– Je suis sûre qu’on les a déjà amenés là l’an dernier ! dit Maryse.

– Et puis, reprend René, imperturbable, regardez sur la terrasse derrière vous, à la nuit tombante, les habitants des cabanes vont inviter leurs voisins pour l’apéro ; Ils vont boire du pastis en mangeant des olives, et faire cuire des sardines. C’est merveilleux, c’est le paradis ici…. Puis le soir, quand les touristes sont partis, c’est formidable le calme qu’il doit y avoir… »

Eric, le fils, baisse la tête  :  » Ne vous retournez pas tous en même temps quand même, c’est gênant de les fixer comme ! »

René, poursuit :

« Surveillez, Patricia, vous allez voir le monde qu’il peut y avoir dans un cabanon comme celui de derrière… »

Patricia jette un œil autour et remarque qu’une petite maison est à louer.

– Vous avez vu ? Vous qui aimez l’endroit depuis si longtemps, vous devriez appeler pour connaitre le prix de location; ça doit être sympa de passer quelques jours ici, et puis vous auriez tout loisir de voir la calanque déserte ! »

René, surpris, ne dit rien tandis que Maryse proteste avec vigueur : « Quelle horreur, je n’aimerai pas dormir là, ça doit être ennuyeux ! »

Arrive le début du repas : des « mange-tout », en entrée. Ce sont des petits poissons, délicieusement poêlés, servis avec un bon vin blanc frais provenant de la coopérative. Le service est convivial mais laisse prévoir un peu d’attente. René n’est pas satisfait de l’accueil. 

Il commente à mi-voix, en se penchant légèrement vers sa femme :

« Tu as vu, ce n’est pas comme avant » …

Elle se tend vers lui, jauge la situation et hoche la tête en silence. Puis elle acquiesce franchement, avant de faire un signe de négation. Elle nous regarde d’un air entendu :

« Non, ce n’est pas comme avant …

Rappelle-toi, René l’ambiance qu’il y avait ici.. Je m’attache très facilement, et j’aimais bien revenir dans cet endroit…»

Sur son siège, René se détend et reprend appui comme un taureau cherchant sa posture en reniflant le sol : sa partenaire est là, le jeu va pouvoir commencer. 

A part eux deux, personne ne sait pas ce qui est différent ou encore pas sympa, mais ils sont péremptoirement d’accord. 

Le fils Eric et sa femme Patricia coupent court : « C’est quand même bien sympa cette calanque, il fait bon, le service est gentil, et les poissons sont frais. »

Les coups d’œil de René et Maryse cherchent la ligne de revers : « Non, ce n’est pas comme avant. D’ailleurs, il y a deux tables vides, là, sur le côté ; avant, on n’aurait jamais vu ça. Et puis il y avait une ambiance, un mouvement, des gens sympathiques qui plaisantaient. Ça passait derrière, ça bousculait, de tous les côtés. »

René poursuit : «Je me demande bien pourquoi, ils m’ont demandé de choisir entre les 1e et le 2ème service ? ».

Maryse sa femme, se penchant vers les enfants : « Ça se trouve que les deux tables d’à côté vont rester vides …. Je ne peux pas les supporter ces deux tables vides… »

Eric et Patricia : « C’est quand même bien sympa d’être dans un lieu aussi délicieux, sans se bousculer … »

Passing shot tueur de Maryse, en mode sicaire : « Non, c’est nul ! »

Ainsi pendant tout le repas, l’humeur va s’étendre sur l’appréciation du restaurant, ou sur les familles attablées devant les cabanes alentours.

Puis René change de focus, et se revanche : «Tu as ton téléphone ? Tu as du réseau ? J’aimerai regarder mes résultats de bridge de cet après-midi » ;

Maryse piquée, prend la table à témoin : « Et les miens, ça ne t’intéresse pas, mes résultats de bridge ? »

Patricia élude en plaisantant : « Finalement, vous êtes aussi accro au téléphone que vos petits-enfants… L’impatience est contagieuse ! » 

La discussion badine au creux de la fin de journée d’été, accueille la nuit.

Le bleu profond du ciel tombe sur la calanque, rejoint le revif. Le temps se pose.

René dit tranquillement : « Vous devriez quand même prendre le téléphone de la location, on ne sait jamais, pour voir. »

Maryse réplique vivement qu’elle ne viendra pas ici en vacances. 

Elle regarde tout autour d’elle, comme si elle attendait une bonne amie qui est en retard. 

Les doigts élégants passent sur le décolleté, rajustent un collier de jaspe rouge assorti à son chemisier, puis tapotent fébrilement la table. La main tombe à plat en mettant fin au silence : « Ce n’est vraiment pas comme avant ! »

René se vrille vers l’intérieur du restaurant pour mieux regarder, puis revient vers la table, ravivé.

Il lance le deuxième set : « Ce n’est plus la même patronne, les serveurs non plus : elle a dû vendre … »

Maryse s’allume : «  Et dire qu’ils ont dû bien vendre cette affaire, c’est pitié de voir ce qu’ils en ont fait, quel gâchis ! »

La partie adverse est déconfite : Patricia et Eric ne voient pas de différence par rapport à leur souvenir de l’an dernier…

La note arrive :

– Patricia, vous avez trouvé que vos rougets étaient flambés au pastis ?

Et toi Eric, as-tu mangé du loup ou de la dorade, pourquoi ont-ils mis les deux ?

– Papa, peu importe, c’était marqué poisson du jour. 

Les yeux qui convergent vers la table de la famille sont agacés. 

– Donnez-moi la note, je vais vous dire si c’était le prix annoncé, ça évitera une contestation inutile. 

René refuse de la montrer, et paie sans râler. 

La famille part se balader autour du port avant de revenir vers les cabanes.

Des jeunes pique-niquent sur les galets, René badine en passant près d’eux : « Vous savez ce que j’aime chez ces jeunes ? C’est qu’ils trouvent toujours à passer des vacances bon marché… Visiblement ils ne sont pas du coin, ils mangent là, par terre, c’est formidable et je suis sûr que tous ces jeunes vont dormir dehors. »

Eric et Patricia se regardent de façon dubitative. Ils expriment à nouveau leur contentement pour ce bon restaurant, cette soirée… René grommelle et Maryse remet en place son collier, pensive.

A la surface de l’heure mystérieuse, la vague attend de se dresser, avant de s’échouer sur la grève.

Rien n’est plus comme avant, et pourtant il semble que tout soit là à jamais en attente de partage : les bons souvenirs d’enfance planqués au fond du coeur, les repas d’une nuit d’été où un ange passe et réveille les valseurs…

La lune dont la contemplation active la magie de l’espace-temps, les Céphéides qui rivalisent de scintillement, l’étoile du berger qu’on aime à deviner… Toutes oeuvrent devant la porte de la tendresse… La douceur est parfois inaudible.

Au ciel de la course des hommes, la cause des étoiles.

Leur causerie… Leur cause rit, l’écho aussi…

©Véronique Bonnet 2022

Je n’avais pas écrit sur le blog depuis un moment… Lyssamara, est venue me le rappeler! Alors voici pour ma modeste participation à l’agenda ironique janvier 2022, organisé ce mois-ci par elle. Il s’agissait de raconter une histoire commençant par « Tandis que les autres demeuraient silencieux, il me mit à aller et venir, fouillant dans tous les tiroirs » , de rajouter une deuxième phrase tirée du roman Mme Bovary  » Je m’attache très facilement », sans oublier de placer dans le texte les mots suivants : étendre, galets, sicaire, céphéide, ange, se revancher, et revif, et éventuellement saupoudrer d’un peu d’humour, selon l’humeur… Pour les explications plus fournies et surtout, pour suivre les textes au fur et à mesure de leur arrivée, peut-être pour donner votre participation éventuelle avant la fin du mois, et voter, je vous proposer d’aller sur le site de Lyssamara ( en cliquant sur le lien).

Bonne lecture !

Etrange et beau

#agendaironique

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Deux amoureux devant la mer respirent l’air iodé. 

Assis sur le muret, les pieds dans le vide, ils scrutent le lointain, le mirage des trois-huit marins. Sereins…

( L’énigme de l’océan dérobé puis restitué ayant été résolue  : pour plus d’informations, lire les faits, contés par Carnetsparesseux et Laurence dans de précédents agendas ironiques). 

Le mouvement lancinant des vagues, leur musique impérieuse, rythment l’horizon. Elles réjouissent nos deux chéris.

En contrebas, la danse d’un cerf-volant, esquissée au fil de la tendresse entre père et fils. Le vrombissement de l’engin face au vent qui se lève, arrache des cris de joie à l’enfant.

Sur le muret, la femme enfonce son bonnet et l’homme cale contre lui son sac à dos. 

Au fur et à mesure du ressac, l’île se forme devant eux.  Elle surgit comme la veille, langue à géométrie variable, visible à marée basse. 

Des fans de cyclopousse à voile- un sport nouveauté 2021 « slow tourism » de la station balnéaire- s’approchent, l’espace de quelques heures, pour profiter de la terre blonde, éphémère et sableuse. 

Des promeneurs se croisent. Ils s’amusent d’observer les reliefs et couleurs de coquillages striés comme des pulls marins. 

Au loin, l’écho de la fine ligne de vagues, écumeuses d’horizon, convoque, sur la grève, l’image d’un lagon bleu transparent. Un temps en suspens… 

Derrière les deux amoureux , se tiennent deux mouettes, plus blanches qu’une fleur de poirier. Elles ne perdent pas une miette de la geste des humains. 

Toute ouïe,  leur bec est tourné dans la même direction qu’eux. L’un des deux volatiles fait des aller-retour fébriles et revient à son poste, derrière la femme au bonnet.  L’autre, immobile, lorgne le sac à dos de l’homme, et, de temps à autre, tente de le picorer en vain, en allongeant son cou.

Les deux mouettes collent insensiblement le dos de l’homme, de minute en minute, en décalant latéralement leurs pattes, par petites touches. Elles voient soudain l’humain se tourner vers la besace. 

Elles se regardent, vivement intéressées, se rapprochent encore.

« Écoute bien » graille soudain l’oiseau le plus près de l’homme : Le sac va produire un bruit étrange et beau … Dès que tu l’auras entendu, tu fonces droit devant et toutes deux, nous emporterons le garde manger qui est caché l’intérieur ».

C’est alors que l’homme eût à peine le temps de dézipper le sac à dos, de dégager le noeud du pochon de sandwiches, que les deux volatiles partirent à coups d’ailes lourdes, en emportant cette pitence vilement acquise. 

Point de corbeau, point de renard. 

Un sandwich au fromage sans doûte, pour une histoire de marée inouïe depuis tant de temps et de mouettes privées de touristes et de leurs curiosités, pour, assez folles, de rieuses en devenir picoreuses ou joueuses.

©Véronique Bonnet 2021

Voilà pour ma participation à l’agenda ironique organisé ce mois-ci par Laurence Delis, de Palette d’expressions. Quel était le sujet? : c’est ICI

(En résumé il fallait : Ecrire un texte contenant la phrase  » un bruit étrange et beau » du roman graphique de ZEP, y insérer 3 mots : ïle, cyclo-pousse, poirier)

Sur la plage en fin de semaine dernière, j’observais le manège de ces deux mouettes quand le doux bruit de la mer m’a rappelé d’écrire un petit KEKCHOSE pour l’agenda ironique …

Des maux (agenda ironique avril 2021)

#agendaironique#hopper#haiku

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Edward Hopper, Shop suey, 1929

Bruits alentour, bourdonnements d’accordage

Dans le bar bondé

Flot continu de mots vides

Empêchent la rencontre.

La pensée se noie

-Cause toujours tu m’intéresses

-Rapproche toi de moi

Face à face en silence.

Silence qui protège

Silence qui reçoit.

Elles tissent, déposent la parole, rajoutent un point d’humour, sur le grand plaid de l’amitié.

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« Entre amis, il est si beau que le silence soit d’or, mais le rire bon et frais l’est beaucoup plus encore. » *

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Dehors il fait beau

Beau jusque sur les trottoirs

Terres-pleins sauvageons

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Pissenlits dorés

Petites têtes au soleil

Charment le silence

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©Véronique Bonnet 2021

Ce texte est ma participation à l’agenda ironique d’avril 2021, organisé ce mois-ci par le blog de Jean-

Pierre Lacombe  » Des arts et Des Mots ». Il fallait choisir l’un des trois tableaux proposés, pour imaginer un

récit, poème, haïku ou autre, la contrainte étant de placer la phrase  » cause toujours tu m’intéresses » et

quelques jeux de mots… Pour toutes les explications CLIQUEZ LÀ

Rv à la fin du mois sur  » Des Arts et Des Mots » pour la lecture de tous les textes et faire votre choix !

*citation : Friedrich Nietzsche

« Nous sommes toutes le courage l’une de l’autre » : tous les textes de l’agenda ironique de mars 2021

#agendaironique

Il est temps d’aller sur le blog de Joséphine , « Nervures et Entailles », qui organisait ce mois-ci l’agenda ironique, pour découvrir les textes des participantes et participants (et nous aider à en choisir un(e)! , ainsi que désigner le prochain organisateur de l’agenda ironique).

J’ai découvert aussi sur le site « Nervures et Entailles » des articles très intéressants sur les courants du féminisme. Je vous invite à aller voir chez Joséphine!

A bientôt

Véronique Bonnet

Incendie du coeur : agenda ironique mars 2021

#agendaironique

Voici pour ma participation à l’agenda ironique de mars, sur le thème ( t’aime) des femmes, le courage des fleurs et de l’incendie : pour toutes les explications du thème du mois : LA chez Joséphine du blog Nervures et Entailles ou ICI chez carnetsparesseux

L et Aile

L arrive à ses fins, mais à quel prix… Sur les genoux parfois, fébrile quand les semaines sont longues. Elle organise, tâche de tout faire, s’occupe de son petit monde, prend soin.

Il paraît qu’il n’y a rien de mieux à faire lorsqu’une tâche urgente est à réaliser que de demander à la plus occupée : C’est elle qui pourrait bien répondre le plus vite… L le regrette parfois…

L peut bien avoir toutes les professions, ou pas de profession, d’ailleurs. Elle fait, elle avance.

Pendant ce temps, dans son jardin, Aile se pose délicieusement, un thé parfumé à la menthe maison et un bon bouquin sur la table à côté … Elle a l’éternité devant elle lorsque ses sens s’emplissent des couleurs, des odeurs et saveurs du jardin, des sons de la vie autour. Enfin, Aile se pose au fond du jardin, délicieusement.

Elle rêve l’envol et son corps vibre du bonheur de le sentir dans l’amplitude de sa respiration, et la profondeur de cet espace-temps.

L est Aile font la paire, mais chacune l’oublie parfois pour une dichotomie éreintante. Et gare à la confusion si les autres femmes intérieures décident de prendre la parole à leur tour.

C’est alors que le vent du Nord se met à siffler dans les sapins : Wu shuuuu wu shuuuu wu shuuu …

Il semble que Wu Shu, gardien du fleurissement des prairies et des forêts, revienne onduler par ici son corps de dragon métaphorique dans l’indicible invisible (enfin, au moins pendant les giloulées de Mars…).

Certains dans le voisinage de la rue de l’agenda, jurent l’entendre murmurer :

« Nous ne sommes pas des fleurs, nous sommes un incendie … Nous sommes le courage l’une de l’autre »…

Dans le jardin, les mimosas se mettent alors à onduler, à flamboyer. Les fruitiers en fleurs à postillonner des confettis roses éphémères. Les pistils renflés et recroquevillés à s’accrocher farouchement aux branches. Le carré de plantes aromatiques exulte.

En ville, L part comme une ombre ployée sous la tempête pour une journée dense, courage chevillé au coeur

– ce qui n’est pas banal pour un coeur, vous avouerez – mais qui aide à avancer plus sûrement dans le feu de l’action.

Du reste, elle avait déjà testé le coeur en bandoulière. Nettement moins pratique pour tout ce qu’elle devait faire avant le repos de fin de semaine.

Ailleurs, c’est tout un poème :

Dragon d’amour dans le bas de ses reins

Mains sensorielles enfantent le sensuel

Amants caressent l’instant après instant

Wu Shu wu shu wu shu … Les interstices des murs, des toitures, laissent le vent chanter, un truc du genre :

(traduction approximative):

« Vive le vent vive le vent vive le vent d’amour délibéré

Pour les ailes déployées de ceux et celles qui veulent s’élancer »

Les femmes avaient passé beaucoup de temps à lutter pour la vie.

Maintenant elles avaient toute latitude pour accueillir la vie.

Dans le nid du Nous

Incendie du coeur agit

Alchimie d’une vie sans peur

Source de bonheur

©Véronique Bonnet 2021

Agenda ironique de Février 2021 : tous les textes

Vous avez jusqu’au 27 février pour aller voir sur le blog de IN THE WRITING GARDEN, ( en cliquant sur le lien bleu) où nous avons été raconter une histoire de dragon, sur un sujet concocté par Frog, qui tenait ce mois-ci de main de maître l’agenda ironique. Lisez et votez pour le texte que vous préférez et pour le prochain organisateur !

A bientôt

Véronique

Questions et réponses : agenda ironique de février 2021 (2)

#agenda ironique février 2021

par Rémige

*

C’était une merveille à nulle autre pareille.

Un anneau d’or mêlé des plus précieux métaux,

            « J’ai eu chaud ! » Il enleva prestement l’anneau de son doigt et le glissa entre les pages du livre. Ranquel referma le gros volume aux pages jaunies par le temps, à la reliure en cuir de buffle décorée de petites écailles. Il tentait vainement depuis des heures d’ en déchiffrer les secrets.

            Il ajusta les parchemins enroulés qui parsemaient la table de bois sombre en prenant l’air affairé, et accueilli dans la pièce le vieillard chenu qui entrait.

            « Alors, Ranquel, tu as avancé ton ouvrage, ce matin ? » dit le magicien avec un regard bienveillant.

            «  Oui, oui, maitre, j’étais sur l’ Irae Draconis depuis l’ aube. C’est une source intarissable d’ enseignements. » Il arborait un sourire satisfait pour dissimuler son trouble.

            Le vieux mage observa le recueil vénérable. La désapprobation qui se lisait sur son visage augmenta la nervosité de Ranquel.

            «  Tu sais que seules les premières pages de ce livre de haute magie te sont accessibles bien sûr. Que de toute façon les autres, qui nécessitent de longues études préalables, ne seront que signes mouvants et incompréhensibles si tu avais l’ imprudence – ou plutôt la folie pensa le magicien – de chercher à les lire. »

            L’ étude de l’ Irae Draconis n’était pas au programme des novices. L’ ouvrage renfermait des trésors qu’il fallait mériter. Et contenir même, pour certains .

Lorsqu’ on ouvrait le livre, les pages des sorts mineurs étaient lisibles, mais les autres étaient remplies de signes mouvants qui se déplaçaient sans ordre sut tous les feuillets. Ils s’ arrêtaient subitement, formant un baragouin incompréhensible aux mages inexpérimentés, pour repartir dans une danse chaotique au long des pages du codex.

            Ranquel redressa la tête d’un air de défi.

« Je ne suis pas archi-mage, certes, mais mon rang et ma haute naissance me donnent des droits ! Ma famille te paye pour ces études fastidieuse. Et tu sais parfaitement que ta propre magie me permettrai de les écourter si tu n’avais pas peur de me voir te rattraper sur le chemin de la connaissance arcanique. »

 L’apprenti pensa avec envie à l’anneau qu’il venait d’ esssayer de voler, caché maintenant entre les pages du livre. Houaïde Ouaibe , l’ anneau de savoir.

Il donnait à celui qui le portait le savoir de tous les livres réunis. Qui posait la bonne question avait la connaissance de toutes les réponses écrites. Le porter trop longtemps était un fardeau, faire appel à lui de manière inconsidérée pouvait être une douleur.

            Le regard du vieillard se voilà quelque peu. « Tu me paraît bien impérieux, ici tu n’es qu’au début de ton parcours .

  • Mais j’ai déjà bien avancé sur ce livre » dit Ranquel d’un air de défi en posant la main sur la reliure cramoisie.

Le mage caressa les larges écailles aux reflets mouvants qui décoraient ses poignets.

            «  Certes. Mais il suffit, tu ne garderas de son étude que ce qui se trouve dans les pages réservées aux novices. Tu n’iras pas plus loin, je te chasse de cette salle, et de ma demeure. »

            Sous le choc de la déclaration, Ranquel regarda le livre de magie. Avec un sourire mauvais, apercevant la forme de l’anneau coincé entre les premières pages, celles des novices, il répondit au magicien :

« Entre les premières pages dis-tu, vieux fou ? Alors je pars avec mon dû. Regarde ce que j’y trouve ! »

Ouvrant le livre et passant prestement l’anneau à son doigt, il montra fièrement l’ objet de sa convoitise. Stupéfait, le vieil homme eut un mouvement de recul.

            « Malheureux, qu’as-tu fait ! Cet anneau se mérite ! Le possèder est une charge, sais-tu ? Tu pourrais par ma folie le réclamer. Quand à le porter, c’est lui qui te porterait. Il te faut pour le brandir ainsi répondre à mes questions.

  • Mais pose les donc, homme dont le temps est passé. J’ai toutes les réponses à ma main » répondit Ranquel.

Les yeux du sorcier se plissèrent et une crispation de dureté déforma ses traits. Il leva les bras en l’ air , faisant descendre les larges manches de sa tenue. Les lords bracelets d’écailles de ses poignets ne glissèrent pas vers le bas. Ils se mirent à luire doucement, puis de plus en plus fort.

Leurs couleurs se firent plus intenses. Jaune, orange, rouge, noir, gris. Toutes les couleurs du feu. Une vapeur méphitique sortit des écailles, qui se mirent recouvrir les bras du magicien.

            Ses traits se déformèrent, il tomba à genoux. Tandis que les écailles recouvraient tout son corps dévêtu, il se redressa enfin pour se présenter en majesté.

            «  Je suis Vermitrax . Seigneur des braises , Ami des fumées. Qui es-tu pour me faire sortir de ma retraite ? Réponds maintenant, être de peu de vie. Une question pour survivre, une question pour l’anneau.     

            Ecrit, il disparaît.

            Il se dit sans un mot

Quelle est ta réponse ? »

Ranquel réflèchit un moment. Ne trouvant rien, il fit appel au pouvoir de l’anneau magique. Il entendit à l’intérieur de sa tête une voix lui souffler , comme avec regret, une réponse.

            « Un message ! Cria-t-il avec un sourire victorieux, puisant sa réponse dans les livres qu’il n’avait pas lus. Une fois écrit il disparaît dans une enveloppe, ou bien il est roulé et protègé. Il se dit sans un mot s’il n’est pas prononcé mais simplement lu. »

            Le dragon eut un sourire mauvais.

            « Ce n’est pas ta réponse, c’est celle de l’ anneau. Alors donne moi la tienne ou la vie te fera défaut. ».

            Consterné, Ranquel se figea.Il réfléchissait, paniqué, tandis que Vermitrax le regardait dans un silence lourd de futurs désagréables. Un silence… Le silence…

            «  le silence ! S’écria-t-il, béat de soulagement. Oui le silence qui disparaît quand on l’écrit expliqu’a-t-il en montrant la table devant lui. Les plumes, les encriers, les rouleaux de sorts n’y étaient pas encore rangés. Le silence disparaît quand la plume gratte le papier pour écrire « silence »

            Et il se dit sans l’aide d’un mot lorsqu’on ne prononce aucun son ! »

            Vermitrax eut un soupir désappointé.

            «  Alors c’est bon, tu auras la vie sauve. Après tout ton forfait n’est pas encore accompli. Mais, ajouta le dragon en souriant, pour l’anneau tu mes dois une réponse ». Il inspira lentement, gonflant ses poches à feu-ardent, sous sa gorge écailleuse.

            «  Alors pour ta contrition tu auras deux énigmes. La première tu la connais :

            Ecrite, elle disparaît.

            Elle se dit sans un mot .

            La seconde, la voici :

            Elle en a deux,

            Et pourtant, aile n’en a qu’un.

            Qu’est-ce que c’est ? »

Abattu, Ranquel regarda avec espoir l’anneau magique. Il réalisa que le métal semblait se déformer légèrement ; Les délicates ciselures évoquant des reptiles ailés commençaient à s ‘animer, tandis que le métal paraissait s’échauffer un peu.

            « Pour la première, je t’ai déjà donné la réponse, ne te déjuge pas », risqua Ranquel par bravade.

            « C est une mauvaise réponse, dit le dragon en gonflant encore ses poches à feu-ardent. Alors, la seconde, et maintenant, » cria-t-il en se déployant au dessus du novice effrayé.

            « Pitié, Maitre des flammes, Grand ver du feu maitrisé, comment pourrais-je trouver la réponse ?

Elle en a deux, et pourtant elle n’en a qu’un ?

Je ne sais pas… Si ! C’est une femme, qui a un mari et un amant . Deux hommes qui l’aiment, et un seul mari.

Ou bien une mère, qui a deux enfants. Elle n’a qu’un fils, car elle a aussi une fille » ajouta Ranquel, désespéré.

            « Assez est assez, dit le dragon. Il suffit. Je te reprends l’anneau. En échange je te donne deux réponses, qui ne sont qu’une et sans un mot.

La seconde énigme est la réponse de la première.

C’est l’énigme elle même qui disparaît si on l’écrit : en la lisant, point de question.

« Elle » a deux « l », tandis qu’ « aile » n’en a qu’un.

Elle se dit sans un mot , car « l » n’est qu’une lettre…

Comme celle que l’on  met dans l’enveloppe,

 qui va disparaître,

puis être révélée

sans un

mot

L

©Rémige 2021

C’était la première participation à l’agenda ironique de février 2021 par Remige qui dépose son texte ici sur poesie-de-nature. Pour avoir le détail du thème du mois « dragons et chimères », c’est chez Frog, de In the writing garden qu’il faut aller voir : ICI. car c’est elle qui orchestre ce mois-ci l’agenda!

*amuletjewelry Etsy

Wu Shu : agenda ironique de fée Vrillée 2021

#agendaironique février 2021

De la poudreuse partout. Wu Shu souffla dans le blanc et déblaya le passage. Il est facile de déneiger pour un dragon. Sous le souffle chaud, la cime des arbres, la tête des arbustes s’ébrouent, les primevères et les crocus émergent, fringants de vert, de jaune et de violet.Wu Shu battait la neige de son arrière train, inlassablement, marchait, accompagnait la nature, dans l’intime des rouages du vivant. Wu Shu portait son attention sur chaque chose. dans les moindres recoins. Elle savait le fil de la merveille, même derrière le parterres de petites fleurs naïves.
Larmes de rosée changées en diamants éphémères, givre brûlant à l’aube, croutes de glace de la rivière, elle passait partout. Chacune de ses ondulations soulevait ses écailles aux reflets arc-en-ciel.Pour la première fois de la saison, elle croisa Rêve-Herbert, la luciole qui la somma sur le champ de laisser la neige en place, car la mode était au duvet blanc dans le coin. Wu Shu lui lança un oeil glacé.« Si tu ne le sais pas, tu n’es qu’une ignorante » continue la luciole.Wu shu se garda de répondre que dans le monde des dragons de la nature auquel elle appartenait, chasse avait été faite à l’ignorance, à l’avidité, à la colère.

« Rêve-Herbert, si tu continues à m’assommer de réflexions, je vais te donner matière à râler… La neige qui dure, ça va ralentir ta métamorphose. Alors, cet été il faudra te démener encore plus pour batifoler avec une femelle si tu arrives après tous les autres ! ». Chacun sait que dans la logique des dragons, il faut faire attention à ce que l’on dit car l’on finit par l’obtenir.

Ce n’est pas dans l’ordre des choses de manigancer. Mais râler n’était pas non plus dans l’ordre des choses, sur le plan de la forêt. La luciole qui n’était pas une lumière se le tint pour dit. Wu Shu pouvait en effet faire éternuer la lune, ça rentrait dans le plan des astres qui, parfois ne savent plus à quel saint se vouer, ce qui dérègle les saisons.Wu shu était plus qu’un souffleur d’air chaud. C’était un souffleur de vie, un insuffleur de vitalité. Ça, l’énergie, personne n’aurait pu dire ce que c’était, pas plus au temps des dragons que maintenant, mais tout le monde en voulait! Enfin, à ce qu’on dit. Mais pour quoi faire?Wu Shu s’en fichait, elle inscrivait la patience dans le cycle, elle réenclenchait la roue. Et son moment favori était le printemps …

Elle aimait voir naître les petits d’animaux, faire monter la sève dans chaque plante et arbre, peaufiner la lumière claire d’un lever de soleil, comme un premier jour. Ça l’amusait d’observer les humains sortir de de leur torpeur hivernale, les voir tout ébaubis devant le renouveau du cosmos. Bien sûr, les êtres dragons de la forêt étaient nombreux. Du réveil de la nature, pourtant, certains s’en méfiaient. Je veux parler des dragons noirs aux relents méphitiques des profondes heures dont il ne faut pas prononcer le nom, même pas en baragouin de peur de les réveiller …Si Rêve-Herbert fut facile à dérouter, Wu-Shu se souvint avoir dû, certaines années, se faire aider par les dragons cracheurs de feu, ceux qui font dévaler les torrents sur un clin d’œil d’Uranus.Ce qu’elle aimait, Wu Shu, c’était mettre en avant la beauté, comme la forme parfaite du flocon de neige. Elle assistait d’ailleurs le travail d’orfèvres des membres de la confrérie des dompteurs de feu. Elle ne se doutait pas que dans le futur, les dragons seraient représentés en papier, lors du défilé au nouvel an chinois, aux prémices du printemps. Non! Dans les temps anciens, Wu Shu rappelait aux humains l’attention aux choses et aux êtres. Elle leur apprenait à manier l’intention de la couleur du fil.Mais c’était moins amusant que de faire fondre la neige vaporeuse. Les dragons restent facétieux dans le fond…
C’est dans cette lignée de souffleurs que Wu Shu œuvrait. De saisons en saisons, il y eut tant de détracteurs que le gardien de la forêt multiplia les dragons pour chaque famille d’arbre, de plante, d’animaux puis d’humains.


Wu Shu devint dragon de maison. Son effigie était gravée sur une boîte à bijoux en laque rouge et dorée, sortie du bazar de Pingyao, la ville aux cent mille lampions rouges.
Quand Wu Shu se posait le matin sur le coeur de Manu qui rêvait, celle-ci s’éveillait quelque part, dans la sensation d’un voyage.Aux confins des limbes du pacifique, Manu commença son vendredi.(NB : Manu n’habite pas en Asie, chers lecteurs, car chacun sait qu’en Asie les dragons n’ont pas d’ailes, et justement Wu Shu se sentait pousser des ailes).Manu n’aimait pas l’opéra chinois que son voisin mettait à tue-tête à côté. ( Elle avait l’impression d’entendre des chats écorchés chanter avec une girouette rouillée en forme de buffle). Elle ajusta son casque aux oreilles et opta pour un tube d’Imagine Dragon.

« Believer » ( cliquer ICI pour voir Imagine Dragon BELIEVER).

Et en se rendant à son travail, elle se mit à fredonner:

« Il y a, Ceux qui allument les feux de joie , Ceux qui s’émerveillent de l’éclosion, Des saisons, Ceux qui les crament, Ceux qui rêvent, Ceux qui agissent, Ceux qui ne font rien »

Manu se sentait un peu tout ça.  Wu Shu le savait. Affaire de saison …  Les veines sous sa peau de dragonne (rien à voir avec le lien des bâtons de marche nordique),  se gonflèrent de vitalité contagieuse, qui est la marque du printemps ( rien à voir avec les soldes ). Son avatar d’été verra bien comment prendre la suite… 

©Véronique Bonnet 2021

Texte pour ma participation à l’Agenda Ironique de 2021 organisé ce mois-ci par Frog du blog « in the writing garden ». De quoi s’agissait-il? D’hydres et chimères. Toutes les explications sur le sujet ICI, chez Frog

agenda ironique de janvier 2021 : tous les textes « en ville étrangère »

#agendaironique @poesiedenature photo : Presicce, Pouilles, Italie

Bonjour, je vous laisse découvrir sur le lien ci-dessous, les textes de l’Agenda Ironique, jeu d’écriture itinérant, organisé par Carnetsparesseux ce mois-ci, Merci Carnets

Une douzaine d’écrits très variés autour du thème du mois : une semaine en ville, contrainte d’écriture pimentant l’exercice.

Ça donne : drôleries, ironie, tendresse, onirisme, poésie, imagination, musiques et autres tissages

https://carnetsparesseux.wordpress.com/2021/01/27/votez-villes-etrangeres-agenda-ironique-de-janvier/

©Véronique Bonnet 2021

Une semaine en ville : agenda ironique de janvier 2021

#agendaironique

Raconter une semaine en ville inconnue, réelle ou imaginaire à la Calvino. Y insérer une liste en sept points, le nom Onésime, le mot réverbère. Y mettre à discrétion une pincée d’agenda et une autre d’ironie. Voilà ce que proposait Carnetsparesseux ce mois-ci dans le jeu d’écriture itinérant, j’ai nommé « l’agenda ironique ». Pour les explications plus complètes : C’est ICI.

Au pied du réverbère, il fouille le fond du cabas. Avec ces lampadaires basse consommation dernier cri, on n’y voit plus rien, et ce matin, c’est purée de pois… Monsieur Ledoux s’agite. Il se souvient qu’il y avait sept choses à faire sur la liste, ça ne devrait pas être difficile de la reconstituer s’il ne la retrouve pas. Enfin ça, c’est vite dit. Sa fille appelle ses petits bouts de papier griffonnés son « rappelle-tout ». C’est dire si c’est important.

Elle est gentille la fille de Monsieur Ledoux. Elle travaille à la pharmacie. Elle va livrer les médicaments des personnes qui ne peuvent pas se déplacer. Et les gens lui rendent bien. Par exemple l’autre jour une petite dame qui s’était fait livrer n’avait pas la monnaie. La fille de Monsieur Ledoux lui a dit « c’est pas grave ». Et bien le lendemain matin, ni une ni deux, la dame était dans la pharmacie pour rendre la monnaie. La fille de Monsieur Ledoux était une peu verte quand même : » Ben si vous êtes là ce matin, c’était pas la peine que mon GPS se perde dans votre campagne hier soir.

-Pour sûr, si, c’était gentil de venir me voir. Et puis là en plus de la monnaie, je venais vous prendre la boite de Dolicrane que j’ai oubliée de noter sur ma commande ». Les listes, c’est important…

Le matin avant d’aller travailler, la fille de Monsieur Ledoux va porter les courses qu’elle fait à son père depuis cette semaine. Elle lui dit ce qu’elle a trouvé ou pas au magasin, et laisse le filet de Garofour sur le palier. Lui, fait un signe de la main et la regarde partir par l’ascenceur. Aucun son ne sort de sa gorge. Puis il ferme doucement la porte, saisit son chapeau, son manteau, les clés de voiture et sort acheter son journal dans la galerie de Garofour. C’est important d’avoir le journal le matin…

C’est si bizarre cette semaine en ville. A croire la télé, c’est la guerre. Monsieur Ledoux, lui, il a connu la guerre. Paris bombardée, il l’a entendue depuis son dortoir, tout seul, quand les autres étaient chez eux. Il se souvient quand il rentrait de la pension, tout gamin, le vendredi soir, avec un copain, mais parfois seul. Dans le train qui parcourait la campagne il lui est arrivé de voir depuis la fenêtre les avions bombardiers passer. Le ciel se barrait d’éclairs et la ligne des collines avait un éclat bizarre. C’était tombé quelque part. Mais quand il arrivait au village, tout allait bien. Jamais il n’aurait eu l’idée de raconter cette histoire à sa famille à ce moment là. D’ailleurs il ne l’a jamais racontée non plus plus tard à ses enfants et petits enfants. Juste au gérant de son restaurant préféré du midi… Et encore, il lui en avait parlé parce qu’ils ne se connaissaient pas depuis longtemps.

« En ville étrange, j’erre » avait -il dit en passant à celle qui s’est installée depuis peu au rez-de-chaussée. Et il lui demande aussi où était parti son cousin Monsieur Onésime qui était venu quelques jours lui rendre visite. Un gars sympa qui avait l’air de bien vadrouiller : Parti après avoir écouté les nouvelles à la radio.

Tout fonctionnait parfaitement jusqu’à ce matin humide, sous le réverbère. Il retrouve la liste dans sa poche. Ça le rassure les listes:

-acheter une carte d’anniversaire à ma fillefaire changer les deux lampes du couloir par son ffaire changer les deux lampes du couloir à mon fils

-faire changer les deux lampes du couloir par mon fils

-lui faire acheter les lampes aussi

-demander comment on installe le bridge sur la tablette à mon fils;

-et s’il ne sait pas, lui demander d’installer des sodoku sur la tablette. Sinon demander à Monsieur Onésime s’il est encore là, il est débrouillard en ordinateur

-demander à mon fils de réparer le radiateur près de la télé ou acheter un bonnet

-demander à mon fils ( ou à un autre de mes fils) de m’expliquer le niveau médium du vélo d’appartement que j’ai eu à mon anniversaire

-acheter le journal

Et puis sans savoir comment, dans ce brouillard à couper au couteau, Monsieur Ledoux trébuche et tombe de tout son long sur le parking de Garofour. Il crie à l’aide très fort bien sûr. Un vigile du centre commercial se précipite.

« Faites attention , dit-il à celui qui le ramasse. Je suis sous anti-coagulants, je saigne beaucoup. Ni une ni deux, Monsieur Ledoux se retrouve alors dans une ambulance qui l’amène aux urgences. Il en sort deux heures plus tard avec un bandage du poignet droit, une suture de l’avant bras et un sourire ravi. Ils sont tellement aux petits soins là-bas. Et puis, c’est quand même animé les urgences à l’heure de pointe, ça distrait, c’est vivant… Sa fille qui vient le chercher fulmine de le voir là en pleine épidémie …

Mais non, faut pas … il y a un temps pour tout. Monsieur Ledoux fait le confinement puis il a besoin de sortir, de prendre un temps où il peut bouger, voir du monde. Alors s’il peut voir du monde, le personnel hospitalier par exemple, il pourrait peut-être voir sa fille? Ben non, c’est une soignante, elle voit trop de gens à risque…

Aux dernière nouvelles, Monsieur Ledoux fait ses courses lui-même depuis cet épisode. Mais au deuxième confinement, il se sent seul. Il décide d’aller en maison de retraite pour personne valide. Après avoir tourné et viré dans la région, il choisit le lieu idéal. Pensez donc, un restaurant tous les midis sur place. Il emménage dans un studio tout neuf. Ça dure très exactement 4 jours – quatre – l’affaire. Puis au matin du cinquième jour, Monsieur Ledoux prend rendez-vous avec la directrice et décrète qu’il ne va pas moisir ici. Au restaurant beaucoup sont très invalides et qu’il n’y a pas grand monde qui parle de foot. Sa fille lui fait remarquer que malgré son grand âge, il est dans les plus vifs parmi ceux qui vont au restaurant de l’établissement. Mais il peut aussi faire la popote dans son studio. Non, pas de temps à perdre…

Ni une ni deux, il fait redémonter la télé par un de ses fils et revient en ville. Il trouve qu’il a exagéré cette peur de tomber, et qu’un bracelet électronique de surveillance fera l’affaire. Son appartement lui semble à nouveau plein de charme, et il va faire ses petites courses en voiture ou à pied. La contrainte du masque, il en fait son affaire.

©Véronique Bonnet 2021 

Le temps s’étire (slam)

* photo : L. Cattin

#agendaironique

Tu dis temps difforme, 

Tu dis temporiser

Risette, reset 

En pointillé, titillé,

T’y es… 

Be sex style!

Bretzel liquide, 

Tout fout le camp…

Le temps…

Inconséquent, vacant, grandiloquent,

Manquant, provoquant, impliquant, pratiquant, urticant…

Puis…

Tu ne penses qu’au vide

Te mouches dans ton coude

Et t’appuies sur le vent- à défaut de t’appuyer sur du vent-

Pendant que les hoquets du temps

Egrennent les jours 

D’une année noire

En fin d’année blanche.

Telle une damnée

Elle sonne déjà la fin d’un temps gaté

Sauvegardé, ligoté, piloté.

Un rien me dit alors…

Voici venir le temps des livres-

Le temps de l’âme 

Le temps de ta flamme-

Alors, si je comprends bien,

Voici venir le temps de vivre…

La vie émerge partout, en flux continu. 

Averses passent, arc en ciel en vue

Gouttes unies en fractales et vibrations

Ajoutent voile de douceur au quotidien. 

Un futur pas si éloigné que ça décrit des brochettes de criquets grillés, des consommés de petits animaux rampants à la menthe du jardin, et autres délices locaux à partager avec convivialité autour du feu, dans une version alterne d’un album d’Uderzo ( avec pages Vegan en bonus pour les irréductibles). Certains en regretteraient presque le temps béni de la bombance plus classique des confinements …

Y aurait-il un temps pour tout?

©Véronique Bonnet

( partie finale en musique, bien sûr, compte tenu de notre organisateur du mois ! )

C’est un écrit en participation pour l’agenda ironique, défi d’écriture itinérant, de blog en blog tous les mois. En novembre, le blog Toutloperaoupresque nous proposait de nous inspirer très librement d’Ecclesiaste 3 pour un texte comportant l’expression « Bretzel liquide », et de rajouter un anapodoton, qui est une forme d’anacoluthe ( je ne connaissais pas ces bestioles, aussi, veuillez recevoir toutes mes excuses à l’avance, chers participants et lecteurs si je n’ai pas élucidé ce point-là… qui reste un peu confus en moi…). Pour les explications plus complètes, VEUILLEZ CLIQUER LA OU LA.

et LA POUR AGENDA IRONIQUE KEZAKO *photo L. Cattin

A bientôt !

Et comme tout finit en chansons chez toutloperaoupresque :

Tiempo cubano, heure cubaine … une version très réussie de Chan-chan

Demain, demain, une spéciale qui reporte à demain

Carmina burana
Le reste du temps

One love

Ici jaimelamusiquemaisjenyconnaisrienenenchainement, à vous presquetoutloperaoupresque, merci pour ce thème original de l’agenda ironique où il n’a pas été aisé de faire fondre un Bretzel…

agenda ironique d’octobre 2020 : resultados por aqui!

Si vous voulez lire la totalité des textes proposés ce mois-ci, c’est ICI sur un GRAIN DE SABLE, de l’autre côté de l’Atlantique, chez Victorhugotte, et ses cartes mexicaines,…

Hasta luego

Véronique

Pourtant ça sent bon

Histoire de mettre mon grain dans l’agenda ironique d’octobre organisé ce mois-ci sur le blog Grain de sable #agendaironique

Quoi de neuf à terre? Le feu lèche la terre et la terre engendre encore la bio-dive -vert-cité. Enfin, jusque là, ça tient la route… Toi tu continues, jour après jour. Travailler encore, travailler encore… 

Jour après jour, sur ta rampe de lancement tu te propulses jusqu’à la canopée avec toute ta clique. L’éther t’insuffle le voyage. L’échelle du temps est sans secret pour toi. Les dents de lion te sauvent de l’ornière, quand tu manques de ressource. Gaia semble toujours prête à te dépanner, à te recevoir, même sous des étoiles de mousse en guise de parapluie. Un miracle…

Enfin jusque là… Et tu continues, jour après jour. Travailler encore, travailler encore… Pause silence la nuit. Un bord de lune accroché à une branche, des entrelacs d’arbres en abri, la chouette comme voisine de crèche.

Et dès les premiers rayons du soleil, tu continues, jour après jour. Travailler encore, travailler encore… Secréter du miel parfois rouge avec du pollen d’or. 

Attirée irrésistiblement par le parfum délicat des premières fleurs sur les arbres et dans les jardins, tu vaques sans relâche.  

Tu vas travailler, travailler encore. Et tu vas remplir les alvéoles d’un ruissellement d’or, de nectar, de pollen à l’effluve suave. Parfois tu vas trouver autre chose que le châtaignier et pouvoir te régaler d’acacias, ou de sarrasin. 

Combien cumules-tu d’emplois? J’avoue qu’après le septième, abeille, j’ai arrêté de compter : la ventilation, la fabrication de la cire, s’occuper de la colonie, le nettoyage, les soins et le service, la surveillance de la ruche, le butinage, le transfert du nectar et du pollen, la fabrication du miel. 

Et puis- merveilleuse – tu sais danser, danser, et ta danse dans l’espace et dans le rythme d’un tambour invisible indique à tes congénères connectées l’emplacement des bons plans pour butiner pour le bien commun … 

Dis-moi quel humain pourrait faire ça? Je veux dire un humain sans machine ni technologie ? Chapeau bas de catrin !! 

Le bourdonnement finit par me bercer, pendant que j’observe le manège des abeilles autour du tilleul particulièrement odorant. L’effluve appelle la tranquillité en moi et parle de générosité, de saison, du plaisir d’être là dans ce moment sans rien faire d’autre que s’emplir de cette sensation…

©Véronique Bonnet

Agenda ironique de septembre 2020 : les textes ( et votes)

#agendaironique

Tous les textes : Ce mois-ci, je vous proposais de vous mettre dans la peau d’un animal pour écrire une histoire contenant 4 mots imposés et deux phrases de Lewis Carroll. Les explications ICI. ( les humains étant autorisés par ordonnance express à entrer dans le conte…)

Un début d’Automne lumineux, et ici le panel d’animaux conteurs réels ou imaginaires; défilent : vies de chiens et de chats, un crapaud précieux, silhouettes nocturnes esquissées, éléphants et suricate sur le chemin dérangés, insectes velus en bataille, un certain pangolin qui veut découvrir la ville, un escargot voyageur, Dahu et Haguis, un oiseau qui déploie ses ailes, et une fable pour la route, le corbeau et le chestshire … Vous avez jusqu’au 27 septembre pour déposer votre contribution : LA, dans les commentaires; je la rajouterai dans la liste ( au dessous). Vote (très très sérieux, n’est-ce- pas, comme toujours) en fin de mois. Vous savez tout ! Bonne lecture à vous et belle journée !

Au 27 septembre, nous voilà avec un bestiaire de 12 textes que j’ai eu grand plaisir à découvrir au fur et à mesure. Merci de vos participations toutes originales ( et bon courage pour les votes )… Au 31 pour les résultats et passer le flambeau du prochain organisateur !

  • Errances ( Rowane Mayfair, Eclats de plume )

https://eclatsdeplume.blog/2020/09/05/agenda-ironique-de-septembre-2020-errances/

©Véronique Bonnet

Votes ( jusqu’au 30 septembre) :

Eh bien eh bien… Bravo à carnet paresseux et son fameux corbshire qui a eu le maximum de suffrages… suivi d’Emmanuel Glais et Dominique Hasselmann. Merci pour vos participations et échanges pleins de bulles et de pétillants! D’ailleurs, regardons l’heureux organisateur du mois prochain : Carnets paresseux et, ou Victor Hugotte, nous allons très vite le savoir … Un bel automne à vous

Véronique

Il se peut que tous vaguaient

#agendaironique

photographies Laurent Moreau

Les broussailles et la poussière… Je me roule dedans avec un grognement de contentement au matin, pour retirer les insectes de mon cuir tendre… A peine redressé, mon pied passe sur une flaque de boue bien lisse. La terre sent bon, elle est si douce que je glisse dedans avant de m’enfoncer en hoquetant de bien-être et de fraîcheur. 

C’est alors que je perçois un piaillement derrière les herbes touffues :

« J’ai entendu dire que quand on est perdu le mieux à faire c’est de rester où on est et d’attendre qu’on vienne vous chercher, mais personne ne pensera à venir me chercher ici… Et puis te voilà ! Ballot d’éléphant, au lieu de me dévisager, aide-moi, je suis en train de couler. »

Je tombe nez à nez avec un drôle de suricate empêtré, sauf de la langue… Curieux, je pourfends la boue pour aller vers lui, prête le flanc et laisse le petit à grimper sur mon dos.

-Merci mon grand, je t’ai déjà vu la saison passée près d’ici… 

Aux appels du groupe, je me dégage du marais et accélère, toutes oreilles battantes pour rejoindre l’arrière train de ma mère pendant que le suricate disparaît dans les fourrés où ses semblables l’appellent.  

La longue marche reprend, encore et encore. Les éléphants sentent le chemin à prendre et avancent l’un derrière l’autre. Le soleil est déjà bas quand le convoi passe au milieu d’une construction d’humains. Nous empruntons un trajet ancestral, bien antérieur aux lodges des humains installés là.  Nous passons une grande cour aux objets étranges,  plus drôles que les petits animaux avec lesquels je joue d’habitude, au milieu de villageois qui viennent  d’ailleurs avec leur peau couleur d’ivoire et leurs gros colliers noirs. Ils nous suivent en gloussant comme des autruches. 

Au sol, un bois lisse, brillant, plus doux que les acacias de la savane , que la glaise près de la source. Je me couche un instant, pas plus longtemps que lorsque je me douche dans la rivière. Et je pars loin, immobile et léger, alors que les humains circulent autour… 

-Il dort au milieu du hall d’hôtel ce petit?

L’aïeul bat ses oreilles et de la trompe, se balance, courroucé qu’un jeune accorde sa confiance si facilement. 

– On ne va quand même pas s’éterniser ici. Il dort ou il est en train de gésir? dit le patriarche, dans un long barrissement. 

Ce à quoi l’humain derriere le comptoir répond : 

«  Tout flivoreux vaguaient les borogoves »…

-Évidemment, chef, barète un grand éléphant près de lui,  je ne parierais pas mes oreilles sur ce qu’il raconte mais au moins ils ont l’air d’avoir compris que nous suivons notre route… 

-Oui, pas sûr… Allez me chercher ceux qui sont  partis dans la grande grotte transparente!

Je me redresse à regret, ébroue trompe et oreilles disproportionnées et retrouve l’ombre des grandes pattes de mes congénères.

S’en se presser, ni même rien casser le reste de la troupe progresse dans le hall d’hôtel.

Je vois l’un des nôtres dans une maison transparente comme l’eau  qui s’amuse à tout regarder, tout toucher, puis sort sous l’œil amusé de l’humaine près d’elle. 

Le groupe repart avec lenteur, tout droit… Et le chemin les entraîne vers une autre journée, une autre nuit étoilée, une autre journée, une autre nuit étoilée, un matin éblouissant, un coucher de soleil cramoisi, des baobabs aux branches racines caressant le ciel, des villageois à la poésie sybilline, d’autres pas d’éléphants, d’autres rêves d’éléphants…

Et la ligne les absorbe jusqu’à ce qu’ils soient filigrane dans la lumière du couchant, horizon lointain émouvant, au coeur de l’Afrique, juste un point dans la longue-vue.

Alors la poésie de la savane parle aux hommes de sensations subliminales, d’impressions tendres, de terre rouge comme le coeur, et de force immémoriale tant que passent les familles d’éléphants.

Quoi, suricates, vous dites que tout cela manque l’humour? Ne soyez pas d’humeur chafouin… Imaginez juste ces mastodontes traverser un hôtel en pleine savane parce qu’il est placé pile poil sur leur route ancestrale, fureter dans le magasin de souvenirs pendant qu’un petit s’endort innocemment en plein hall. Regardez-les tendre la trompe aux touristes ébahis puis passer et reprendre leur chemin… Les voir s’éloigner en rythme, petits et grands, en fesses chaloupées est réjouissant. Car du petitou naît le rien qui émeut. Et l’on sait, que le petit tout peut faire vibrer, aussi vrai que « émouvoir » vient du latin  « emovere », « mettre en mouvement ».

Alors, comme dit si bien le griot africain pour qui sagesse est affaire de chacun et de tous :  «  Tout flivoreux vaguaient les borogoves;

Les verchons fourgus bourniflaient. »

©Véronique Bonnet

Voilà pour ma participation à l’agenda ironique de septembre 2020! Organisé ici, sur poesie-de-nature, je proposais de vous mettre dans la peau d’un animal, raconter une histoire contenant les mots : longue-vue, chafoin, gésir, chemin, et utiliser deux phrases d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Pour toutes les explications, ou pour participer aussi à ce jeu d’écriture hébergé chaque mois par un blog différent : c’est ICI

Rendez-vous à la fin du mois pour lire tous les textes proposés …

Exposition Laurent Moreau Paris Septembre2020 à Janvier 2021

Merci à Laurent de m’avoir autorisé à illustrer par ses photos

Agenda ironique septembre 2020

#agendaironique

(photos Laurent Moreau : Emotions animales)

Ce mois-ci, l’agenda ironique de SEPTEMBRE 2020 se déroule sur poesie-de-nature. Certains sont habitués à participer régulièrement, d’autres pas. Sentez-vous libres de venir!

Il s’agit d’écrire votre texte et le poster ici même dans les commentaires avant le 27 septembre. Nous aurons alors jusqu’au 31 pour lire et choisir (tout-à-fait sérieusement…!) les 2 préférés ( et accessoirement, celui qui organise l’agenda d’après… ).

Pour d’autres infos ou voir les agendas passés : c’est PAR LA et LA

Nous voilà donc à la proposition du sujet du mois : raconter une histoire contenant les 4 mots suivants :

Longue-vue, chafouin, gésir, chemin 

En vous mettant dans la peau d’un animal de votre choix.

Et en intégrant la phrase et les deux strophes suivantes (Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles) :

« J’ai entendu dire que quand on est perdu le mieux à faire c’est de rester où on est et d’attendre qu’on vienne vous chercher, mais personne ne pensera à venir me chercher ici. »

et

«  Tout flivoreux vaguaient les borogoves;

Les verchons fourgus bourniflaient ».

A vos plumes et poils de tous bords pour cet agenda de rentrée, en fables, affabulations, ou autre forme ! Toute la création peut être invitée, les animaux imaginaires bien sûr. Les humains sont autorisés à passer dans le paysage aussi…

Une belle rentrée à vous et à bientôt ! J’attends avec une petite pointe d’impatience le début des textes…

©Véronique Bonnet

Photos : LAURENT MOREAU

exposition 2020

 

Coquillages et coquecigrues

#agendaironique

Cet été, c’était donc retour à la plage… d’une façon ou d’une autre avec le thème proposé par IOTOP, du blog  » le dessous des mots » pour l‘agenda ironique d’Août 2020 (KECEKECE ici l’explication de ce jeu d’écriture ou : ICI). Dans l’envie  de souffler, de partager, de rêver, de laisser  venir l’inspiration, au gré de l’imagination, de marcher, de rire, de bouger, de ne rien faire, de s’émerveiller devant la vitalité de l’été, tout est là. Un thème : la plage, réelle ou pas, des mots imposés en contrainte d’écriture ( flot, argile, perche, monoï).
Donc ma participation, limite dans la plage ( avant le 26/08) , la voici :

Un coquillage posé sur une étagère comme autrefois sur la plage, dans un ailleurs intemporel… Bien sûr que même sans approcher l’oreille de la conque, chuchotent déjà en moi les flots bleus, le ressac et les vagues lentes. Cette danse lancinante que j’aime s’anime.

Plage d’été, plage arrière, plage d’un CD, plage de silence… Sans pause, pas de rythme, pas de musique, pas de respiration. Le retour à la plage, c’est une oscillation, d’une façon ou d’une autre et l’inspiration d’un voyage.

Allongée sur le ventre, dans la chaleur de l’été atlantique, les pieds battent dans le sable et retombent dans le creux frais dégagé par les orteils.

Le chapeau de paille laisse passer une discrète brise. Elle sèche les gouttelettes de sueur qui perlent sur le front, le bord des lèvres… C’est salé. L’océan est si présent en moi que je m’imagine être ce coquillage de la grève, plus près des vagues voluptueuses qui s’écrasent à grand fracas sur le sable fin.

Les cheveux humides ont le parfum du monoï ; l’ombre aérée du chapeau me rafraichit et laisse filtrer des raies de lumière. L’odeur de la paille chaude sur ma peau. Je ne sais plus si je suis à la campagne ou à la mer. Je sais m’étaler mieux que mon chat et je le prouve en m’étirant encore plus…

Une vague fait crier au loin. Je me souviens amusée du temps où j’étais la grande perche qui sautait avec délices dans les vagues. Je lève un coin du chapeau, ouvre un œil, soudain attentive au mouvement, à la couleur changeante des flots.

Le va et vient de l’eau lèche la grève, l’épouse, se retire avant un nouvel assaut. C’est beau la nature… Le coquillage en a été délogé et se fait ravir par une grande lame. Des cris en cascades et des tombés de corps en rafale lorsque les pieds des baigneurs semblent d’argile, pris par un courant. Ils ressortent tout pailletés de sable dans les cheveux et reviennent vers moi.

Je replonge le nez dans la chaleur sèche de mon bord de serviette, pas du tout sûre de vouloir être éclaboussée au creux de ce délice circulaire.

©Véronique Bonnet

Agenda ironique de juillet : haiku argentin

Illustration Zach Mendoza « landscape painting » et « boooom »

Perchés sur l’arbre à Théâtre, ils palabraient. 

De bris de mots en maux tarés, elle se sentait en bords de poème, la rime flottante et la côte mal taillée.  

Pour cause, elle travaillait son haïku argentin. 

Le baron perché prit la suite du logo-rallye. Il tenta une rime bisexuelle qui ne fit réagir personne. 

Il crut voir rouge quand l’un de ses compères vint déclamer sa prose, en chaloupant autour d’un axe de pool danse. Un bris de mots plus tard, il hoquetait sur des locutions introuvables, et alla se réfugier dans le feuillage. Suivit un poème fondu enchaîné et des rubans de couleurs furent déployés dans l’azur du ciel. En bas, tous sautaient de joie. 

Sous le vacarme et la lumière, ils décidèrent alors de faire panache commun…  Le baron dans toute la rousseur de sa crinière, déclama : 

«  Douceur     ET chaleur

Au creux des REINs enfiévrés

Mes bras        TE      serrent.  » (*)

Elle entendit l’étreinte…  

Elle prit le livre près d’elle – Manon Lescaut –  l’ouvrit au hasard et lut la réponse   : 

« Après avoir soupé avec plus de satisfaction que je n’en avais jamais ressenti, je me retirai pour exécuter notre projet. »

©Véronique Bonnet

(*) Haiku argentin : écrit par Remi Ge ( un nom de plume, à coup sûr…)

Voilà pour ma participation, un peu tardive à l’agenda ironique de juillet, le blog itinérant d’écriture, hébergé ce mois-ci par Emmanuel Glais. Emmanuel nous demandait d’imaginer un texte en contrainte d’écriture choisie parmi les oulipos ( ICI) , et de débuter ou terminer par la phrase de l’abbé Prévost dans « Manon Lescaut » : « Après avoir soupé avec plus de satisfaction que je n’en avais jamais ressenti, je me retirai pour exécuter notre projet. », le tout sous l’augure d’une illustration choisie parmi les oeuvres de Zach Mendoza, que j’ai découvert.

Trésor du temps : agenda ironique de juin

#agendaironique , gravure : Escher

« Il venait de se passer tant de choses bizarres, qu’elle en arrivait à penser que fort peu de choses étaient vraiment impossible » … Lewis Caroll

« L’été, la nuit les bruits sont en fête »… E. Allan Poe

« Encore une histoire fantastique ? Si tu veux…

Il était une fois, dans un temps si ancien qu’il est presque oublié – ou peut-être dans une dimension parallèle…ou quelque part dans le futur – il était une fois, donc, une population qui était obnubilée par le temps.

 Le temps était de toutes les discussions : « ma robe couleur du temps », pour l’une « le temps, le temps, le temps et rien d’autre », pour d’autres. L’obsession du temps était partout.
Il vint le jour où l’on donne cette information : Pour sortir de cette nasse, il faut se faire absorber jusqu’au point de libération …

-Posséder le temps ?

-C’est ce que tout le monde croyait , et devant la compétition, restèrent bouche bée. Néanmoins, c’est le début d’un jeu dont leur quotidien est la plate-forme. 

Pratiquement du jour au lendemain, tout est filmé partout, enregistré. On comptabilise tout de façon à avoir des données larges, reproductibles validant l’effet d’un groupe, lissant la singularité de chaque personne. C’est à qui capture le plus de temps. Les humains multiplient leurs activités, enregistrent le maximum de données, sur tous supports. Il faut des preuves tangibles. Ils se prennent en photos partout et par tous les temps ! Le jeu occupent plusieurs saisons télévisées.

-Et qu’est-ce qu’ils gagnent ?

-Un trésor doit se révéler… Le plus fort de ce jeu de télé-réalité géant obtiendrait la maîtrise du temps. Le jeu envahit la terre entière et devient virémique. 

-Tu exagères, grand-mère, il n’est quand même pas contagieux ce jeu…

-Mais pire que contagieux, ma chérie, il change les gens… 

Un des présentateurs tellement populaire devint même président de son pays. Les hommes voulant maitriser, se mettaient à éructer leurs émotions de façon incontrôlable. Ra-tio-na-li-ser, imaginer une procédure. Ça devint maladif.

-Pourquoi ?

-Mon petit, rationaliser c’était vouloir mettre une forme à quelque chose qu’on ne comprenait pas. A vouloir sortir de l’enfermement de leurs pensées, de leurs peur cachées, les hommes entraient dans un contrôle maladif d’un truc qui leur échappait.
Et pendant ce temps, le coffre contenant la solution restait bien caché, tu penses, au fond d’une grotte insondable, racontait-t-on. Mais personne n’avait encore rien vu de ses propres yeux, sauf les rares alchimistes qui osaient mettre le nez dehors. Après le règne du « Ondit » ou du Nondit, vint celui du « Maudit ».

D’ailleurs, la solution échappait à tout le monde car, plus on capture du temps, plus on le calibre, plus on se sent emprisonné par lui. Il y avait bien un jacquemart de ci-delà dans le pays, mais, les pauvres en perdaient leur rythme. Ils étaient sonnés.

Les épreuves se succèdaient d’année en année pour trouver la clé, en versions jeux-vidéos, applis téléphone, plateformes en ligne ClairG.

Une fois par an, un temps fort : l’épreuve du feu! Il s’agissait de sauter sans se brûler au-dessus d’un grand brasero. Puis à chacun de nourrir le feu avec tous les matériaux et autres déchets à sa disposition. Quand le feu est à hauteur, il actionne une porte. Dès qu’elle s’entrebâille, elle conduit au cœur du secret. Les maitres du jeu parlent du cœur des êtres. Mais le cœur déserte, ou viendrait-il à manquer ? Ça, personne ne le comprend vraiment. Un cœur, il y a belle lurette qu’on en n’a pas vu, avec tous ces mutants qui trainent en ville, leurs réactions calibrées comme les feux factices des restaurants, zygomatiques bloqués comme ceux des poupées.
Alors, les maitres du jeu donnent un indice : il est possible d’actionner la clé de vie, comme le faisaient les Egyptiens. 

-Grand-mère, tu mélanges vraiment tout…

-C’est vrai, mais l’esprit est une grande caisse à outils quand l’âme est cristal…Que d’anachronismes, c’est vrai, dans ces temps parallèles. 

-Bref, les gens de ton conte sont fous.

-Encore plus qu’on ne le croit ! De cette folie ordinaire qui leur faisait penser qu’ils pouvaient guérir d’un claquement de doigt, ou en appuyant sur un bouton. 

Certains, à bout, finirent par entrer par effraction dans le lieu qui attisait leur curiosité du toujours plus. S’affranchissant des règles, mus par l’excitation d’exister dans ce jeu, ils grillaient le temps, comme les limites, trichant, et sautant par-dessus le mur d’entrée.

Ils ne savaient pas que ça pouvait leur provoquer une fracture du cœur, ce voyage violent, cette accélération du temps. Un dérèglement du bouton « sentir » parait-il. 

Mais ils s’étaient laisser conter qu’une fois au cœur du jeu, le trésor alchimique se dévoilerait à qui sait écrire des hiéroglyphes avec une plume de serpentaire. On pourrait voir alors dans le miroir cosmique se transformer le plomb de nos histoires en or de la vie. 

Mais les hommes ne savaient plus l’alchimie. Ils avaient perdu une partie des données terrestres en changeant de planète TV et la boite noire du vaisseau n’avait jamais été retrouvée. Elle était restée quelque part dans le désert de la Kaléidoscopie. Et les émissaires des villes proches, Tantaculum et Myriador n’en avaient trouvé aucune trace.

Au fil du temps la transmission se brouilla. On finit par imaginer l’or, en richesse palpable, en fin craquement de billet de banque, en files de chiffres que l’on additionne et qui rassurent. 
-C’est quoi ce jeu?

Une autre histoire de feu qui a tendance à ne voir que lui. Il a si peur de disparaitre qu’il mange tout ce qui peut être brûlé pour grossir comme un soleil. Il brûle les ailes des rêveurs.

-Comme Icare ?

-Un peu. A ce moment, les hommes ne croient plus au soleil comme source de vie et de mort. Ils disent : On a trouvé : le temps, c’est de l’argent. 

Le vent du tant charrie un message si lointain que l’on n’en perçoit que le rythme d’un tambour lancinant et une tête d’indien auréolé de plumes d’aigles blanches et noires.

Ils vont sur la Lune et aussi sur Mars sonder les frontières de l’impossible. Plus ils vont loin, et moins ils voient que la solution est peut-être en eux-mêmes. Faudrait-il une machine plus puissante que tous les scanners, les IRM pour sonder l’étendue des ressources et des terres intérieures ? Pour entrevoir un changement ? Rien à faire, les hommes ne trouvent pas leur limite. Leur monde intime reste invisible. Qui va se souvenir de ce qui est déjà là au fond ? Tam-tam, toum-ta, toum-ta, toum-ta… 

Ils ne sont que projets, idées sans savoir s’ils sont heureux ou malheureux. Ils n’ont plus envie de jouer, juste se faire posséder et déposséder par le jeu.

-Tu me racontes souvent la bataille intérieure. Qui gagne ?

-Ce que tu nourris le plus, tu le sais.

Et là, le feu gagnait et les fascinait. 

« Hommage au feu ! » clamaient les anciens. « Au feu ! » disait la société de cette époque, enfin celle qui étaient restée sur la planète bleue chauffée à blanc. Leurs activités mesurant le temps détruisaient tout leur environnement au fur et à mesure. Et ils brulèrent tout par réactivité.

Vint le temps où cette histoire se raconta dans les livres d’enfants. Le feu devenait une image sur un écran d’ordinateur mural. Raconte-moi l’histoire du feu dira la petite fille à sa grand-mère, quelque part sur une planète. 

Mais on ne les voit pas autre part que dans l’écran, toutes les deux. Autour, tout est vide.

L’enfant se fige, incrédule : Explique- moi comment on en est arrivé là.

-Oui mon petit. Les anciens disaient que le feu crépite à chaque instant en douceur à l’intérieur de chacun d’entre nous, et qu’il nourrit nos liens, les transforme. 

Avant la première année du confinement, les hommes aimaient au solstice d’été, empiler des bûches en forme d’escalier menant à un temple éphémère. Et l’on mettait le feu à cette construction. 

Chacun imaginait aussi ce dont il voulait se débarrasser, et le mettait symboliquement dans le feu. On dansait autour des flammes puissantes, de façon joyeuse, en partage d’amitié, d’amour.

L’homme oublie souvent la plénitude de son âme, pour en faire un concept. La société valorise la consommation, la compétition, génère manque et frustration.

-Et comment ça se termine ton histoire ?

-Cent ans plus tard, le feu du pouvoir avait désincarné la vie entre les gens. 

Mais elle persistait, intacte, sous une forme énergétique que les humains ont pu protéger en l’enfermant dans ces boites, à partir desquelles nous nous déplaçons à la vitesse de la lumière. Pfff, de toutes façons, tu n’écoutes plus, je m’arrête. 

La petite fille avait les yeux dans le vague. Dehors, trois lunes brillaient, magnifiques. La petite dit lentement : 

-Si, continue à expliquer.

-Ici, a court une nouvelle unité de mesure.Toute chose peut être vue non pas par rapport au temps qui passe mais à la vibration qu’elle dégage. Ainsi tu vois parfois des visages parcourus de rides profondes. Des sillons comme des chemins de vie incroyablement vivants et beaux. Ces personnes portent leurs histoires et en préservent l’élan au fond de leur cœur. Leurs yeux semblent plonger dans l’essence des choses et ils irradient. As-tu remarqué que d’autres, jeunes pourtant, paraissent éteints, gris ! Bla bla bla ! Tu me laisses parler, tu dors ?

-Non, grand-mère, je rêve… Et que sont devenus les chercheurs de temps ?

-Un petit groupe de combattants fut dépêché pour explorer une planète lointaine. Ce temps qui échappait fut fait prisonnier par eux qui pourfendaient l’air sans avoir la chanson. Les scientifiques qui fouillaient dûment le cosmos-tétradimentionnel se sont perdus en conjectures. Qu’importe pour ces aventureux…

La vie la plus forte, s’affranchit des luttes. A tout laisser tomber, le temps fut retrouvé. A bien regarder, il avait toujours été là…

La petite fille s’était endormie, le visage retourné vers la fenêtre. Sa grand-mère se mis à chantonner, dans la nuit claire, face aux trois astres, la petite phrase « J’ai rencontré une brouette, et j’ai pensé qu’elle me prêterait une oreille attentive… »

©Véronique Bonnet

Voilà pour ma participation à l’ agenda ironique de juin organisé par Laurence, de Palette d’expressions…

Elle proposait que nous fassions un voyage dans l’impossible, à partir de la phrase de Lewis Caroll « Il venait de se passer tant de choses bizarres, qu’elle en arrivait à penser que fort peu de choses étaient vraiment impossible » … pimentée de quelques contraintes d’écriture en plus… ( toutes les explications, et tous les textes du mois sur sa page )

agenda ironique de février

#agenda-ironique

Fragment d’un calendrier romain exposé au musée de Sousse (Tunisie)  
(Ad Meskens via Wikimedia Commons)

Bravo à Laurence de Palettes d’expression qui est arrivée en tête de vos préférences pour l’AI de janvier des villes invisibles (après Jobougon et carnets paresseux)!

Il semble bien que ce soit Jacou, du blog  » les mots autographes » l’organisatrice dévouée de février après étude approfondie des résultats du sondage! Merci à Jacou d’héberger cet agenda vagabond ce mois-ci!!

De quoi s’agira t-il? Et bien, Jacou nous conte d’abord l’histoire de l’organisation des années bissextiles et questionne : où sont donc passés les dix jours retirés au calendrier du seixième siècle? Elle propose de plonger dans une histoire de temps perdu, dont vous trouverez les détails de contraintes d’écriture juste après :

https://jacou33.wordpress.com/2020/02/01/agenda-ironique-de-fevrier-2020/

La recherche du temps perdu va être passionnante !! A très bientôt …

Véronique