Trésor du temps : agenda ironique de juin

#agendaironique , gravure : Escher

« Il venait de se passer tant de choses bizarres, qu’elle en arrivait à penser que fort peu de choses étaient vraiment impossible » … Lewis Caroll

« L’été, la nuit les bruits sont en fête »… E. Allan Poe

« Encore une histoire fantastique ? Si tu veux…

Il était une fois, dans un temps si ancien qu’il est presque oublié – ou peut-être dans une dimension parallèle…ou quelque part dans le futur – il était une fois, donc, une population qui était obnubilée par le temps.

 Le temps était de toutes les discussions : « ma robe couleur du temps », pour l’une « le temps, le temps, le temps et rien d’autre », pour d’autres. L’obsession du temps était partout.
Il vint le jour où l’on donne cette information : Pour sortir de cette nasse, il faut se faire absorber jusqu’au point de libération …

-Posséder le temps ?

-C’est ce que tout le monde croyait , et devant la compétition, restèrent bouche bée. Néanmoins, c’est le début d’un jeu dont leur quotidien est la plate-forme. 

Pratiquement du jour au lendemain, tout est filmé partout, enregistré. On comptabilise tout de façon à avoir des données larges, reproductibles validant l’effet d’un groupe, lissant la singularité de chaque personne. C’est à qui capture le plus de temps. Les humains multiplient leurs activités, enregistrent le maximum de données, sur tous supports. Il faut des preuves tangibles. Ils se prennent en photos partout et par tous les temps ! Le jeu occupent plusieurs saisons télévisées.

-Et qu’est-ce qu’ils gagnent ?

-Un trésor doit se révéler… Le plus fort de ce jeu de télé-réalité géant obtiendrait la maîtrise du temps. Le jeu envahit la terre entière et devient virémique. 

-Tu exagères, grand-mère, il n’est quand même pas contagieux ce jeu…

-Mais pire que contagieux, ma chérie, il change les gens… 

Un des présentateurs tellement populaire devint même président de son pays. Les hommes voulant maitriser, se mettaient à éructer leurs émotions de façon incontrôlable. Ra-tio-na-li-ser, imaginer une procédure. Ça devint maladif.

-Pourquoi ?

-Mon petit, rationaliser c’était vouloir mettre une forme à quelque chose qu’on ne comprenait pas. A vouloir sortir de l’enfermement de leurs pensées, de leurs peur cachées, les hommes entraient dans un contrôle maladif d’un truc qui leur échappait.
Et pendant ce temps, le coffre contenant la solution restait bien caché, tu penses, au fond d’une grotte insondable, racontait-t-on. Mais personne n’avait encore rien vu de ses propres yeux, sauf les rares alchimistes qui osaient mettre le nez dehors. Après le règne du « Ondit » ou du Nondit, vint celui du « Maudit ».

D’ailleurs, la solution échappait à tout le monde car, plus on capture du temps, plus on le calibre, plus on se sent emprisonné par lui. Il y avait bien un jacquemart de ci-delà dans le pays, mais, les pauvres en perdaient leur rythme. Ils étaient sonnés.

Les épreuves se succèdaient d’année en année pour trouver la clé, en versions jeux-vidéos, applis téléphone, plateformes en ligne ClairG.

Une fois par an, un temps fort : l’épreuve du feu! Il s’agissait de sauter sans se brûler au-dessus d’un grand brasero. Puis à chacun de nourrir le feu avec tous les matériaux et autres déchets à sa disposition. Quand le feu est à hauteur, il actionne une porte. Dès qu’elle s’entrebâille, elle conduit au cœur du secret. Les maitres du jeu parlent du cœur des êtres. Mais le cœur déserte, ou viendrait-il à manquer ? Ça, personne ne le comprend vraiment. Un cœur, il y a belle lurette qu’on en n’a pas vu, avec tous ces mutants qui trainent en ville, leurs réactions calibrées comme les feux factices des restaurants, zygomatiques bloqués comme ceux des poupées.
Alors, les maitres du jeu donnent un indice : il est possible d’actionner la clé de vie, comme le faisaient les Egyptiens. 

-Grand-mère, tu mélanges vraiment tout…

-C’est vrai, mais l’esprit est une grande caisse à outils quand l’âme est cristal…Que d’anachronismes, c’est vrai, dans ces temps parallèles. 

-Bref, les gens de ton conte sont fous.

-Encore plus qu’on ne le croit ! De cette folie ordinaire qui leur faisait penser qu’ils pouvaient guérir d’un claquement de doigt, ou en appuyant sur un bouton. 

Certains, à bout, finirent par entrer par effraction dans le lieu qui attisait leur curiosité du toujours plus. S’affranchissant des règles, mus par l’excitation d’exister dans ce jeu, ils grillaient le temps, comme les limites, trichant, et sautant par-dessus le mur d’entrée.

Ils ne savaient pas que ça pouvait leur provoquer une fracture du cœur, ce voyage violent, cette accélération du temps. Un dérèglement du bouton « sentir » parait-il. 

Mais ils s’étaient laisser conter qu’une fois au cœur du jeu, le trésor alchimique se dévoilerait à qui sait écrire des hiéroglyphes avec une plume de serpentaire. On pourrait voir alors dans le miroir cosmique se transformer le plomb de nos histoires en or de la vie. 

Mais les hommes ne savaient plus l’alchimie. Ils avaient perdu une partie des données terrestres en changeant de planète TV et la boite noire du vaisseau n’avait jamais été retrouvée. Elle était restée quelque part dans le désert de la Kaléidoscopie. Et les émissaires des villes proches, Tantaculum et Myriador n’en avaient trouvé aucune trace.

Au fil du temps la transmission se brouilla. On finit par imaginer l’or, en richesse palpable, en fin craquement de billet de banque, en files de chiffres que l’on additionne et qui rassurent. 
-C’est quoi ce jeu?

Une autre histoire de feu qui a tendance à ne voir que lui. Il a si peur de disparaitre qu’il mange tout ce qui peut être brûlé pour grossir comme un soleil. Il brûle les ailes des rêveurs.

-Comme Icare ?

-Un peu. A ce moment, les hommes ne croient plus au soleil comme source de vie et de mort. Ils disent : On a trouvé : le temps, c’est de l’argent. 

Le vent du tant charrie un message si lointain que l’on n’en perçoit que le rythme d’un tambour lancinant et une tête d’indien auréolé de plumes d’aigles blanches et noires.

Ils vont sur la Lune et aussi sur Mars sonder les frontières de l’impossible. Plus ils vont loin, et moins ils voient que la solution est peut-être en eux-mêmes. Faudrait-il une machine plus puissante que tous les scanners, les IRM pour sonder l’étendue des ressources et des terres intérieures ? Pour entrevoir un changement ? Rien à faire, les hommes ne trouvent pas leur limite. Leur monde intime reste invisible. Qui va se souvenir de ce qui est déjà là au fond ? Tam-tam, toum-ta, toum-ta, toum-ta… 

Ils ne sont que projets, idées sans savoir s’ils sont heureux ou malheureux. Ils n’ont plus envie de jouer, juste se faire posséder et déposséder par le jeu.

-Tu me racontes souvent la bataille intérieure. Qui gagne ?

-Ce que tu nourris le plus, tu le sais.

Et là, le feu gagnait et les fascinait. 

« Hommage au feu ! » clamaient les anciens. « Au feu ! » disait la société de cette époque, enfin celle qui étaient restée sur la planète bleue chauffée à blanc. Leurs activités mesurant le temps détruisaient tout leur environnement au fur et à mesure. Et ils brulèrent tout par réactivité.

Vint le temps où cette histoire se raconta dans les livres d’enfants. Le feu devenait une image sur un écran d’ordinateur mural. Raconte-moi l’histoire du feu dira la petite fille à sa grand-mère, quelque part sur une planète. 

Mais on ne les voit pas autre part que dans l’écran, toutes les deux. Autour, tout est vide.

L’enfant se fige, incrédule : Explique- moi comment on en est arrivé là.

-Oui mon petit. Les anciens disaient que le feu crépite à chaque instant en douceur à l’intérieur de chacun d’entre nous, et qu’il nourrit nos liens, les transforme. 

Avant la première année du confinement, les hommes aimaient au solstice d’été, empiler des bûches en forme d’escalier menant à un temple éphémère. Et l’on mettait le feu à cette construction. 

Chacun imaginait aussi ce dont il voulait se débarrasser, et le mettait symboliquement dans le feu. On dansait autour des flammes puissantes, de façon joyeuse, en partage d’amitié, d’amour.

L’homme oublie souvent la plénitude de son âme, pour en faire un concept. La société valorise la consommation, la compétition, génère manque et frustration.

-Et comment ça se termine ton histoire ?

-Cent ans plus tard, le feu du pouvoir avait désincarné la vie entre les gens. 

Mais elle persistait, intacte, sous une forme énergétique que les humains ont pu protéger en l’enfermant dans ces boites, à partir desquelles nous nous déplaçons à la vitesse de la lumière. Pfff, de toutes façons, tu n’écoutes plus, je m’arrête. 

La petite fille avait les yeux dans le vague. Dehors, trois lunes brillaient, magnifiques. La petite dit lentement : 

-Si, continue à expliquer.

-Ici, a court une nouvelle unité de mesure.Toute chose peut être vue non pas par rapport au temps qui passe mais à la vibration qu’elle dégage. Ainsi tu vois parfois des visages parcourus de rides profondes. Des sillons comme des chemins de vie incroyablement vivants et beaux. Ces personnes portent leurs histoires et en préservent l’élan au fond de leur cœur. Leurs yeux semblent plonger dans l’essence des choses et ils irradient. As-tu remarqué que d’autres, jeunes pourtant, paraissent éteints, gris ! Bla bla bla ! Tu me laisses parler, tu dors ?

-Non, grand-mère, je rêve… Et que sont devenus les chercheurs de temps ?

-Un petit groupe de combattants fut dépêché pour explorer une planète lointaine. Ce temps qui échappait fut fait prisonnier par eux qui pourfendaient l’air sans avoir la chanson. Les scientifiques qui fouillaient dûment le cosmos-tétradimentionnel se sont perdus en conjectures. Qu’importe pour ces aventureux…

La vie la plus forte, s’affranchit des luttes. A tout laisser tomber, le temps fut retrouvé. A bien regarder, il avait toujours été là…

La petite fille s’était endormie, le visage retourné vers la fenêtre. Sa grand-mère se mis à chantonner, dans la nuit claire, face aux trois astres, la petite phrase « J’ai rencontré une brouette, et j’ai pensé qu’elle me prêterait une oreille attentive… »

©Véronique Bonnet

Voilà pour ma participation à l’ agenda ironique de juin organisé par Laurence, de Palette d’expressions…

Elle proposait que nous fassions un voyage dans l’impossible, à partir de la phrase de Lewis Caroll « Il venait de se passer tant de choses bizarres, qu’elle en arrivait à penser que fort peu de choses étaient vraiment impossible » … pimentée de quelques contraintes d’écriture en plus… ( toutes les explications, et tous les textes du mois sur sa page )

7 commentaires sur “Trésor du temps : agenda ironique de juin

  1. Belle inspiration que cet Agenda Ironique ! Un conte pas si loin d’une vérité que cela, sommes-nous tous dans l’emprise du temps, ou du jeu ? J’esssaie toujours de contrebalancer : avancer les projets qui font sens, et prendre du temps pour soi et les autres… et pour commenter ce texte 🙂 ! Belle journée à toi, Sabrina.

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    1. Le temps et le jeu ne sont-ils pas tout autant sous notre emprise ? J’essaie d’osciller aussi d’avancer en prenant du temps pour moi, les autres et en en donnant aux projets, aux partages qui m’animent… Merci Sabrina de votre passage 🌞

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  2. Boudiouh !!! Si j’avais le temps, je laisserais un commentaire.
    Mais je cours depuis trop longtemps après l’instant présent.
    Alors je n’irai pas laisser une trace de mon passage car,
    pour perdre le temps précieux que je remonte, yapa mieux.
    Je suis si près de le rattraper, ce temps présent…
    Mais au fait, c’est quoi cette histoire de réglage du sens ?
    Il faut vraiment que je prenne ce temps là sans tarder.
    Merci Véro. 😉
    Merci pour le rappel.

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    1. Bonjour Jo, et merci pour ta lecture, toi grande horlogère régulière de l’agenda … boudiouhhh un déréglage de la façon de sentir son corps, disait la grand mère du conte. Ce serait comme une anesthésie, ou un oubli de soi, une instrumentation du corps. Alors, il se rappelle à nous, en avertisseurs sonores ou douloureux parfois… Libre à nous d’écouter ou pas les besoins profonds qui se font sentir

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  3. Sous « l’histoire fantastique » cette course contre le temps a des résonances terriblement actuelles. Comme quoi on peut prendre très au sérieux les extravagances de l’impossible, tout reste possible…
    Merci beaucoup pour ta participation Véro. A te lire, j’ai oublié le temps qui passe 🙂

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