Le temps qu’on ne peut pas figer : la fin de l’idéal

#agendaironique#conte

 

« Tandis que les autres demeuraient silencieux, il se mit à aller et venir, fouillant dans tous les tiroirs ».

-Mais où est donc la fichue carte de ce bistrot, Maryse?

-Mais là où tu l’a rangée la dernière fois, René !

Ils invitent leurs enfants au restaurant. Pas n’importe lequel, celui qu’ils ont mis longtemps à dénicher : Une perle dont ils gardent l’adresse depuis tant d’années !

Le petit trésor se tient au fond d’une calanque, sur le port. Les cabanons rustiques habités par les cigales, sont blottis contre la roche en amphithéatre. Les herbes aromatiques de la garrigue moutonnent de ci-delà. Un condensé de la saveur méditerranéenne, un poil cliché.

Dans cet écrin délicieux, il n’y a plus qu’à se laisser porter par l’air doux de la fin d’après-midi… se disent tout bas, Eric, le fils et sa femme Patricia.

La terrasse est bien garnie de marseillais. Il est vrai que le « Mangebien », est un petit restaurant d’habitués qui se déplacent parfois de loin pour les plats typiques que l’on y sert.

René, le père, qui était parti garé la voiture arrive d’un pas pressé, s’assoie le dernier et commence à faire l’article du lieu.

– Vous connaissiez ici ?

Vous allez voir, ici c’est différent de la côte d’azur, il n’y a que des indigènes, des gens du coin tout autour de nous ! »

Le regard de Patricia la belle-fille reste droit pour éviter les regards biaiseux d’éventuels

« indigènes ».

– Je suis sûre qu’on les a déjà amenés là l’an dernier ! dit Maryse.

– Et puis, reprend René, imperturbable, regardez sur la terrasse derrière vous, à la nuit tombante, les habitants des cabanes vont inviter leurs voisins pour l’apéro ; Ils vont boire du pastis en mangeant des olives, et faire cuire des sardines. C’est merveilleux, c’est le paradis ici…. Puis le soir, quand les touristes sont partis, c’est formidable le calme qu’il doit y avoir… »

Eric, le fils, baisse la tête  :  » Ne vous retournez pas tous en même temps quand même, c’est gênant de les fixer comme ! »

René, poursuit :

« Surveillez, Patricia, vous allez voir le monde qu’il peut y avoir dans un cabanon comme celui de derrière… »

Patricia jette un œil autour et remarque qu’une petite maison est à louer.

– Vous avez vu ? Vous qui aimez l’endroit depuis si longtemps, vous devriez appeler pour connaitre le prix de location; ça doit être sympa de passer quelques jours ici, et puis vous auriez tout loisir de voir la calanque déserte ! »

René, surpris, ne dit rien tandis que Maryse proteste avec vigueur : « Quelle horreur, je n’aimerai pas dormir là, ça doit être ennuyeux ! »

Arrive le début du repas : des « mange-tout », en entrée. Ce sont des petits poissons, délicieusement poêlés, servis avec un bon vin blanc frais provenant de la coopérative. Le service est convivial mais laisse prévoir un peu d’attente. René n’est pas satisfait de l’accueil. 

Il commente à mi-voix, en se penchant légèrement vers sa femme :

« Tu as vu, ce n’est pas comme avant » …

Elle se tend vers lui, jauge la situation et hoche la tête en silence. Puis elle acquiesce franchement, avant de faire un signe de négation. Elle nous regarde d’un air entendu :

« Non, ce n’est pas comme avant …

Rappelle-toi, René l’ambiance qu’il y avait ici.. Je m’attache très facilement, et j’aimais bien revenir dans cet endroit…»

Sur son siège, René se détend et reprend appui comme un taureau cherchant sa posture en reniflant le sol : sa partenaire est là, le jeu va pouvoir commencer. 

A part eux deux, personne ne sait pas ce qui est différent ou encore pas sympa, mais ils sont péremptoirement d’accord. 

Le fils Eric et sa femme Patricia coupent court : « C’est quand même bien sympa cette calanque, il fait bon, le service est gentil, et les poissons sont frais. »

Les coups d’œil de René et Maryse cherchent la ligne de revers : « Non, ce n’est pas comme avant. D’ailleurs, il y a deux tables vides, là, sur le côté ; avant, on n’aurait jamais vu ça. Et puis il y avait une ambiance, un mouvement, des gens sympathiques qui plaisantaient. Ça passait derrière, ça bousculait, de tous les côtés. »

René poursuit : «Je me demande bien pourquoi, ils m’ont demandé de choisir entre les 1e et le 2ème service ? ».

Maryse sa femme, se penchant vers les enfants : « Ça se trouve que les deux tables d’à côté vont rester vides …. Je ne peux pas les supporter ces deux tables vides… »

Eric et Patricia : « C’est quand même bien sympa d’être dans un lieu aussi délicieux, sans se bousculer … »

Passing shot tueur de Maryse, en mode sicaire : « Non, c’est nul ! »

Ainsi pendant tout le repas, l’humeur va s’étendre sur l’appréciation du restaurant, ou sur les familles attablées devant les cabanes alentours.

Puis René change de focus, et se revanche : «Tu as ton téléphone ? Tu as du réseau ? J’aimerai regarder mes résultats de bridge de cet après-midi » ;

Maryse piquée, prend la table à témoin : « Et les miens, ça ne t’intéresse pas, mes résultats de bridge ? »

Patricia élude en plaisantant : « Finalement, vous êtes aussi accro au téléphone que vos petits-enfants… L’impatience est contagieuse ! » 

La discussion badine au creux de la fin de journée d’été, accueille la nuit.

Le bleu profond du ciel tombe sur la calanque, rejoint le revif. Le temps se pose.

René dit tranquillement : « Vous devriez quand même prendre le téléphone de la location, on ne sait jamais, pour voir. »

Maryse réplique vivement qu’elle ne viendra pas ici en vacances. 

Elle regarde tout autour d’elle, comme si elle attendait une bonne amie qui est en retard. 

Les doigts élégants passent sur le décolleté, rajustent un collier de jaspe rouge assorti à son chemisier, puis tapotent fébrilement la table. La main tombe à plat en mettant fin au silence : « Ce n’est vraiment pas comme avant ! »

René se vrille vers l’intérieur du restaurant pour mieux regarder, puis revient vers la table, ravivé.

Il lance le deuxième set : « Ce n’est plus la même patronne, les serveurs non plus : elle a dû vendre … »

Maryse s’allume : «  Et dire qu’ils ont dû bien vendre cette affaire, c’est pitié de voir ce qu’ils en ont fait, quel gâchis ! »

La partie adverse est déconfite : Patricia et Eric ne voient pas de différence par rapport à leur souvenir de l’an dernier…

La note arrive :

– Patricia, vous avez trouvé que vos rougets étaient flambés au pastis ?

Et toi Eric, as-tu mangé du loup ou de la dorade, pourquoi ont-ils mis les deux ?

– Papa, peu importe, c’était marqué poisson du jour. 

Les yeux qui convergent vers la table de la famille sont agacés. 

– Donnez-moi la note, je vais vous dire si c’était le prix annoncé, ça évitera une contestation inutile. 

René refuse de la montrer, et paie sans râler. 

La famille part se balader autour du port avant de revenir vers les cabanes.

Des jeunes pique-niquent sur les galets, René badine en passant près d’eux : « Vous savez ce que j’aime chez ces jeunes ? C’est qu’ils trouvent toujours à passer des vacances bon marché… Visiblement ils ne sont pas du coin, ils mangent là, par terre, c’est formidable et je suis sûr que tous ces jeunes vont dormir dehors. »

Eric et Patricia se regardent de façon dubitative. Ils expriment à nouveau leur contentement pour ce bon restaurant, cette soirée… René grommelle et Maryse remet en place son collier, pensive.

A la surface de l’heure mystérieuse, la vague attend de se dresser, avant de s’échouer sur la grève.

Rien n’est plus comme avant, et pourtant il semble que tout soit là à jamais en attente de partage : les bons souvenirs d’enfance planqués au fond du coeur, les repas d’une nuit d’été où un ange passe et réveille les valseurs…

La lune dont la contemplation active la magie de l’espace-temps, les Céphéides qui rivalisent de scintillement, l’étoile du berger qu’on aime à deviner… Toutes oeuvrent devant la porte de la tendresse… La douceur est parfois inaudible.

Au ciel de la course des hommes, la cause des étoiles.

Leur causerie… Leur cause rit, l’écho aussi…

©Véronique Bonnet 2022

Je n’avais pas écrit sur le blog depuis un moment… Lyssamara, est venue me le rappeler! Alors voici pour ma modeste participation à l’agenda ironique janvier 2022, organisé ce mois-ci par elle. Il s’agissait de raconter une histoire commençant par « Tandis que les autres demeuraient silencieux, il me mit à aller et venir, fouillant dans tous les tiroirs » , de rajouter une deuxième phrase tirée du roman Mme Bovary  » Je m’attache très facilement », sans oublier de placer dans le texte les mots suivants : étendre, galets, sicaire, céphéide, ange, se revancher, et revif, et éventuellement saupoudrer d’un peu d’humour, selon l’humeur… Pour les explications plus fournies et surtout, pour suivre les textes au fur et à mesure de leur arrivée, peut-être pour donner votre participation éventuelle avant la fin du mois, et voter, je vous proposer d’aller sur le site de Lyssamara ( en cliquant sur le lien).

Bonne lecture !

Méditerranée en hiver

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La colline autour s’enfle

Le vent balaie le passage

L’arbre dénudé dessine l’estampe

Ombres et racines comme un sillage.

©Véronique Bonnet 2021

Regarder les photos de vacances, et faire une poésie, c’est l’hiver 2021, en voyage domestiqué

Bleu Méditerranée je te vois

Flâneries et émerveillements

Très heureuse de vous faire partager la sortie du recueil… Pour flâner un peu…

Des petits textes comme une invitation à se poser quelques minutes!

Véronique

#flaneriesetemerveillements#attention#presence#bienetre#narratif#voyage

Coquillages et coquecigrues

#agendaironique

Cet été, c’était donc retour à la plage… d’une façon ou d’une autre avec le thème proposé par IOTOP, du blog  » le dessous des mots » pour l‘agenda ironique d’Août 2020 (KECEKECE ici l’explication de ce jeu d’écriture ou : ICI). Dans l’envie  de souffler, de partager, de rêver, de laisser  venir l’inspiration, au gré de l’imagination, de marcher, de rire, de bouger, de ne rien faire, de s’émerveiller devant la vitalité de l’été, tout est là. Un thème : la plage, réelle ou pas, des mots imposés en contrainte d’écriture ( flot, argile, perche, monoï).
Donc ma participation, limite dans la plage ( avant le 26/08) , la voici :

Un coquillage posé sur une étagère comme autrefois sur la plage, dans un ailleurs intemporel… Bien sûr que même sans approcher l’oreille de la conque, chuchotent déjà en moi les flots bleus, le ressac et les vagues lentes. Cette danse lancinante que j’aime s’anime.

Plage d’été, plage arrière, plage d’un CD, plage de silence… Sans pause, pas de rythme, pas de musique, pas de respiration. Le retour à la plage, c’est une oscillation, d’une façon ou d’une autre et l’inspiration d’un voyage.

Allongée sur le ventre, dans la chaleur de l’été atlantique, les pieds battent dans le sable et retombent dans le creux frais dégagé par les orteils.

Le chapeau de paille laisse passer une discrète brise. Elle sèche les gouttelettes de sueur qui perlent sur le front, le bord des lèvres… C’est salé. L’océan est si présent en moi que je m’imagine être ce coquillage de la grève, plus près des vagues voluptueuses qui s’écrasent à grand fracas sur le sable fin.

Les cheveux humides ont le parfum du monoï ; l’ombre aérée du chapeau me rafraichit et laisse filtrer des raies de lumière. L’odeur de la paille chaude sur ma peau. Je ne sais plus si je suis à la campagne ou à la mer. Je sais m’étaler mieux que mon chat et je le prouve en m’étirant encore plus…

Une vague fait crier au loin. Je me souviens amusée du temps où j’étais la grande perche qui sautait avec délices dans les vagues. Je lève un coin du chapeau, ouvre un œil, soudain attentive au mouvement, à la couleur changeante des flots.

Le va et vient de l’eau lèche la grève, l’épouse, se retire avant un nouvel assaut. C’est beau la nature… Le coquillage en a été délogé et se fait ravir par une grande lame. Des cris en cascades et des tombés de corps en rafale lorsque les pieds des baigneurs semblent d’argile, pris par un courant. Ils ressortent tout pailletés de sable dans les cheveux et reviennent vers moi.

Je replonge le nez dans la chaleur sèche de mon bord de serviette, pas du tout sûre de vouloir être éclaboussée au creux de ce délice circulaire.

©Véronique Bonnet

Neuf villes invisibles pour l’an neuf …

#agenda-ironique Par ici pour voter…

Pour l’agenda  ironique de janvier, Janus, mois du passage, s’il en est, je vous demandais d’écrire un « road trip », une déambulation , seul(e) ou accompagné(e), dans une ville, connue, inconnue, imaginaire, terrestre, maritime, céleste… Vous pouviez choisir l’endroit que vous arpentez tous les jours, mais aussi le passé ou le futur. Vous pouviez vous inspirer du livre  » les villes invisibles  » d’Italo Calvino, ou pas trop... Bref, tout était possible! … mais…  Les mots suivants devaient figurer : entrechat, rampe, jaquemart, topinambaulx, dents, dindon. Et le texte devait se finir par la célèbre phrase du petit prince  «  L’essentiel est invisible pour les yeux » 

Lien : https://poesie-de-nature.com/2020/01/04/les-villes-invisibles-agenda-ironique-de-janvier/

Neuf villes invisibles ont vu le jour! J’ai eu grand plaisir à les accueillir, dans leurs différences et dimensions singulières… Vous avez jusqu’à la fin du mois pour terminer de lire et choisir les 3 textes que vous préférez, que vous soyez participants au jeu ou lecteurs de passage (bienvenue à vous! ), et désigner le prochain organisateur pour février, à l’aide des SONDAGES TOUT EN BAS… A bientôt !

-Jobougon : La vibration laisse émerger le grain de sable qui est là : https://jobougon.wordpress.com/2020/01/05/la-vibration-laisse-emerger-le-grain-de-sable-qui-est-la/

-Patchcath : De beaux voyages à raconter :

https://patchcath.wordpress.com/2020/01/15/de-beaux-voyages-a-raconter/

-Poesie-de-nature : Orient express :

https://poesie-de-nature.com/2020/01/14/orient-express/

-Poesie-de-nature : Colores del corazon:

https://poesie-de-nature.com/2020/01/19/colores-del-corazon/

-Victorhugotte : Sextine des villes invisibles

https://victorhugotte.com/2020/01/20/sextine-des-villes-invisibles/

-Chachashire : Sijilmassa :

https://chchshr.wordpress.com/2020/01/21/sijilmassa-agenda-ironique-de-janus-2020/

-Carnetsparesseux : noir d’encre :

https://carnetsparesseux.wordpress.com/2020/01/22/noir-dencre/

-Palette d’expressions : De villes visibles en villes invisibles

https://palettedexpressions.wordpress.com/2020/01/22/1464

-Les mots autographes : Guerre et paix

https://jacou33.wordpress.com/2020/01/25/agenda/

+ une hors délai, mais pas des moindres… par Iotop, « le hasard se lève »

https://ledessousdesmots.wordpress.com/2020/03/17/le-hasard-se-leve/

©Véronique Bonnet

Voici Février et les résultats de notre sondage… : c’est donc le texte Laurence de Palettes d’expression qui est choisi en premier, suivi de Jobougon puis Carnets paresseux!

C’était une chouette récolte ! L’agenda continue ses pérégrinations en février : allez voir chez Jacou « les mots autographes », pour découvrir la nouvelle forme du mois, si Jacou veut bien prendre en charge l’organisation du nouvel AI!

Un grand merci et un grand bravo pour vos participations

https://ledessousdesmots.wordpress.com/2020/03/17/le-hasard-se-leve/

A très bientôt !

Véronique

CHOISIR 3 VILLES INVISIBLES :

orient express

#agenda ironique

Je me tais, et hume l’air clair du pont. Accoudée à la rampe, face au jaquemart décati, qui se détache de la lumière, j’ai l’impression d’écouter l’âme des hommes, le fil du temps, en descendant le Nil…

L’eau file sous la coque du bateau. L’air est chaud et ça sent la terre mouillée. Je cligne des yeux, rajuste mon chapeau de paille. Une femme en écharpe de plumes de dindons descend d’une embarcation voisine, à la recherche de quelques topinambaulx exotiques. Une rescapée d’un livre d’Agatha ? il me prend l’envie d’un entrechat, dans cet entre-temps théatral. Le clapotis me pose sur le fleuve dans le délice d’un inconnu connu- ou alors est-ce un connu inconnu ? Quand la confusion apporte la solution, il n’y a plus qu’à se laisser flotter dans la perception… Tiens, il me semble voir le jaquemart doré remonter le temps…

Le rythme d’un quotidien ancestral défile là sur les rives, probablement millénaire. Les enfants jouent en s’ébrouant près de l’eau. J’entends des ânes braire à côté, toutes dents en avant et le brouhaha, la clameur, peut-être d’un marché. Des odeurs de dattes mûres, de miel et d’épices montent jusqu’à nous. Le chant du Muezzin s’élève. Je cale mon menton sur l’avant-bras.

L’écho vibre dans mon intime brumeux, par-delà le tempo du Nil qui s’étire comme le son… Une sagesse bleue s’épand dans le paysage baigné de la lumière douce. Je souris, les fossettes en parenthèses d’amour.

« L’essentiel est invisible pour les yeux »…

©Véronique Bonnet

Voici ma participation à l’agenda ironique de janvier,  » les villes invisibles », organisé par votre dévouée!

Pour le moment, c’est le deuxième texte, les autres sont encore…invisibles… A suivre jusqu’au 27 janvier, résultats le 31

Pour l’explication du thème du mois : c’est ICI

Et pour tout savoir sur l’agenda ironique, jeu vagabond d’écriture, dont l’organisation passe de blog en blog, c’est sur les sites suivants :

https://carnetsparesseux.wordpress.com/lagenda-ironique-kezaco/

https://differencepropre.wordpress.com/agenda-ironique-ou-es-tu/

Nouvelles îles

guide vagabond de Rôme de Marco Lodoli, ed La fosse aux ours

« Ici Rôme se moque du temps qui se consume dans l’essoufflement ».

« Il arrive de vagabonder sans but dans la ville. C’est un égarement confiant car tôt ou tard, il se passera quelque chose, quelque chose surgira à l’improviste : nous n’attendons rien, mais un rien nous attend. »

« Rôme est une ville qui ne fait jamais table rase : les époques, les siècles, les années, les jours s’accumulent. Possible qu’aucune minute enfuie ne se perde entièrement. »

Et soudain, tout est ouvert, tout est possible…

©Véronique Bonnet

Les villes invisibles ( agenda ironique de janvier)

#agenda-ironique




« Les villes comme les rêves sont faites de désirs et de peurs, même si le fil de leur discours est secret, leurs règles absurdes, leurs perspectives trompeuses; et toue chose en cache une autre.

-Moi je n’ai ni désirs ni peurs, déclara le Khan, et mes rêves sont composés soit par mon esprit soit par le hasard.

-Les villes aussi se croient l’oeuvre de l’esprit ou du hasard, mais ni l’un ni l’autre ne suffisent pour faire tenir debout leurs murs. Tu ne jouis pas d’une ville à cause de ses sept ou soixante-dix-sept merveilles, mais de la réponse qu’elle apporte à l’une de tes questions. »

Les villes invisibles , Italo Calvino, ed Folio

Merci de m’avoir désignée pour organiser l’agenda ironique de janvier… Je choisis de poursuivre l’invitation au voyage . De quoi s’agira t-il? 

Les cartes nautiques merveilleuses de Joan Martines proposées par Carnetsparesseux le mois dernier comme thème pour l’AI, m’ont fait dériver sur « les villes invisibles » d’Italo Calvino »… ce merveilleux dialogue imaginaire entre Marco polo et l’empereur Kublai Khan. 

« On ne voit bien qu’avec le coeur. » leur aurait dit le petit prince . 

Pour l’agenda  ironique de janvier, je vous demande donc d’écrire un « road trip », une déambulation , seul(e) ou accompagné(e), dans une ville, connue, inconnue, imaginaire, terrestre, maritime, céleste… Vous pouvez choisir l’endroit que vous arpentez tous les jours, mais aussi le passé ou le futur.

Bref, tout est possible! … mais… 

Les mots suivants devront figurer : entrechat, rampe, jaquemart, topinambaulx, dents, dindon.

Et le texte devra se finir par la célèbre phrase du petit prince 

 «  L’essentiel est invisible pour les yeux » 

A vos claviers si le coeur vous en dit… Nous sommes impatients de vous lire!!

… Pour rappel : Vous pouvez déposer vos textes jusqu’au, disons, 27 janvier, en commentaire, ici. Cela nous laisse temps et loisir de lire, et choisir les 3 que vous préférez. Je ferai une page récapitulative et sondage ( je vais refouiller dans WordPress pour retrouver comment faire le tableau en question …)

A vos plumes! Le premier texte est déjà là, de toute beauté …

Je vous souhaite une belle année 2020!

Véronique

Et pour savoir tout sur l’agenda ironique :

https://carnetsparesseux.wordpress.com/lagenda-ironique-kezaco/

https://differencepropre.wordpress.com/agenda-ironique-ou-es-tu/

Au nom de l’île

voyage au bout-de-l’an

#agenda-ironique décembre

Atlas nautique de Joan Martines 1582

Le nom de l’île lointaine, c’est ce qui m’avait attiré d’abord. Mon doigt dessinait le trajet sur la carte portulan. J’y songeais, depuis des semaines, dans les pleins, les déliés, les cursives à l’encre rouge et noire, entre les bateaux et les drapeaux de l’atlas Gallica. Cette île m’attendait. Là dans la blancheur, sous le soleil éclatant, prête à l’éclate des corps et des sens. Avant j’imaginais des aventures à vingt-cinq kilomètres à l’heure, sur ma mobylette, au côté de mon frère. Maintenant je testais je sentais je goûtais j’absorbais la lumière les couleurs les musiques, les sports, les rencontres, sûr que chacune d’entre elles contenaient un secret. Je voulais le percer, le posséder, le proposer à mes clients. Il m’échappait, je recommençais, il fallait que ça crache, que ça brille, que ce soit singulier et exceptionnel, même dans la simplicité. Et puis quand le soleil tombait, quand la fleur se fanait, quand la musique devenait monotone, après la fête, je restais confusément à sentir l’odeur du vide. Ainsi tout ne serait que feu follet, et moi témoin un peu triste ?

« Tu as une âme d’explorateur », j’ai souvent entendu cette phrase depuis l’enfance. Un peu aventureux, impétueux, peut-être, je vous le concède… C’est bientôt Noël, j’ai le temps de m’offrir nouvelle aventure.  La pulpe de l’index caresse le papier du moulin Richard de Bas. Derrière le secret de ce papier, l’inclusion de ses petites fleurs bleues et jaunes, se cachent la bataille de Samarkand, en 571, le prix des hommes en d’autres temps.  Samarkand… Née au VIIIe siècle avant JC comme Rôme, elle soutient le destin mystérieux, brillant et tragique des villes antiques. Leurs multiples dimensions m’attirent. Les multiples dimensions m’attirent. Entre réel et consommations de sensationnel, j’étudie toute proposition.  « Je n’aime pas l’eau claire, C’est la faute à Voltaire, J’aime le curaçao, C’est la faute à Rousseau. »

Un jour pourtant, j’ai arrêté de tester de sentir de goûter d’absorber. La volition devint collision. Le nez par terre, la faute ni à Voltaire ni à personne. J’ai fais ma révolution, le tour de moi-même. Pas même le temps de ressentir l’amertume… Après le crash, j’étais là, à regarder devant, sans sourciller. Touchant ma peau écrevisse, je me mis à maudire le soleil mordant, moi qui venait pour me dorer à son contact. Je mangeais le sable blanc dont je rêvais, les yeux à hauteur des coquillages, l’écume au bord des lèvres, le reflet vitreux couleur d’huître sur les pupilles. Une place supplémentaire dans ce vol privé avec mes meilleurs potes, c’était une aubaine australe. La tempête qui nous a engloutie, un coup d’arrêt, mortel.

Les soleils et les nuages bleus dansent devant moi. Entre les scialytiques et l’agitation des blouses bleues, l’image de ma famille me poursuit. C’est bientôt Noël. Ils sont si loin, ou alors c’est moi qui le suis déjà … Cet Atlas, la valse des navires autour des continents, les drapeaux tendus … C’est pour le mystère de ces cartes que j’ai tant aimé les voyages, c’est pour l’exploration jamais atteinte, ces villes invisibles, comme ces terres oubliées, ces animaux disparus.  Tant de de temps à sentir le grand livre de cuir, à suivre le contour de l’Afrique, tracée comme une grande roue, à choisir l’esprit un peu tatillon avec quel bateau j’allais chevaucher les océans. Voulais-je voyager ou me perdre dans l’immensité de l’imaginaire ? Voulais-je apprivoiser le chaos, le tranchant de la vie? Tout semble avoir une saveur extrême, là, maintenant, dans la lumière de l’inconnu, une porte, un autre monde à découvrir …. Peut-être… Courte échelle, demain, gouffre… Non sens.

Soudain, la carte disparaît, le paysage aussi.

Quand la croyance meurt, le vernis craque… Homme-ici-deux…

C’est alors que l’homme se réveille, sent sa poitrine monter et descendre, à nouveau. Rien d’autre ne bouge. Le contact du drap rêche lui fait ouvrir les yeux. Et pour la première fois de sa vie, il trouve que les chaussons énormes surmontés de deux oreilles ridicules, posés là sur la table blanche en face sont les plus beaux du monde, les plus drôles aussi…

Une petite voix lui fait lever les yeux.

-Joyeux Noël Papa! Tu nous a tellement manqué… 

©Véronique Bonnet

Ce mois-ci, l’organisation de l’agenda ironique revenait à Carnetsparesseux qui nous proposait d’écrire un texte, un « voyage au bout-de-l’an » dont l’inspiration part des cartes de voyage de Juan Martines, avec quelques contraintes de mots… Les détails du jeu d’écriture et les participations du mois : ICI et LA