Le temps qu’on ne peut pas figer : la fin de l’idéal

#agendaironique#conte

 

« Tandis que les autres demeuraient silencieux, il se mit à aller et venir, fouillant dans tous les tiroirs ».

-Mais où est donc la fichue carte de ce bistrot, Maryse?

-Mais là où tu l’a rangée la dernière fois, René !

Ils invitent leurs enfants au restaurant. Pas n’importe lequel, celui qu’ils ont mis longtemps à dénicher : Une perle dont ils gardent l’adresse depuis tant d’années !

Le petit trésor se tient au fond d’une calanque, sur le port. Les cabanons rustiques habités par les cigales, sont blottis contre la roche en amphithéatre. Les herbes aromatiques de la garrigue moutonnent de ci-delà. Un condensé de la saveur méditerranéenne, un poil cliché.

Dans cet écrin délicieux, il n’y a plus qu’à se laisser porter par l’air doux de la fin d’après-midi… se disent tout bas, Eric, le fils et sa femme Patricia.

La terrasse est bien garnie de marseillais. Il est vrai que le « Mangebien », est un petit restaurant d’habitués qui se déplacent parfois de loin pour les plats typiques que l’on y sert.

René, le père, qui était parti garé la voiture arrive d’un pas pressé, s’assoie le dernier et commence à faire l’article du lieu.

– Vous connaissiez ici ?

Vous allez voir, ici c’est différent de la côte d’azur, il n’y a que des indigènes, des gens du coin tout autour de nous ! »

Le regard de Patricia la belle-fille reste droit pour éviter les regards biaiseux d’éventuels

« indigènes ».

– Je suis sûre qu’on les a déjà amenés là l’an dernier ! dit Maryse.

– Et puis, reprend René, imperturbable, regardez sur la terrasse derrière vous, à la nuit tombante, les habitants des cabanes vont inviter leurs voisins pour l’apéro ; Ils vont boire du pastis en mangeant des olives, et faire cuire des sardines. C’est merveilleux, c’est le paradis ici…. Puis le soir, quand les touristes sont partis, c’est formidable le calme qu’il doit y avoir… »

Eric, le fils, baisse la tête  :  » Ne vous retournez pas tous en même temps quand même, c’est gênant de les fixer comme ! »

René, poursuit :

« Surveillez, Patricia, vous allez voir le monde qu’il peut y avoir dans un cabanon comme celui de derrière… »

Patricia jette un œil autour et remarque qu’une petite maison est à louer.

– Vous avez vu ? Vous qui aimez l’endroit depuis si longtemps, vous devriez appeler pour connaitre le prix de location; ça doit être sympa de passer quelques jours ici, et puis vous auriez tout loisir de voir la calanque déserte ! »

René, surpris, ne dit rien tandis que Maryse proteste avec vigueur : « Quelle horreur, je n’aimerai pas dormir là, ça doit être ennuyeux ! »

Arrive le début du repas : des « mange-tout », en entrée. Ce sont des petits poissons, délicieusement poêlés, servis avec un bon vin blanc frais provenant de la coopérative. Le service est convivial mais laisse prévoir un peu d’attente. René n’est pas satisfait de l’accueil. 

Il commente à mi-voix, en se penchant légèrement vers sa femme :

« Tu as vu, ce n’est pas comme avant » …

Elle se tend vers lui, jauge la situation et hoche la tête en silence. Puis elle acquiesce franchement, avant de faire un signe de négation. Elle nous regarde d’un air entendu :

« Non, ce n’est pas comme avant …

Rappelle-toi, René l’ambiance qu’il y avait ici.. Je m’attache très facilement, et j’aimais bien revenir dans cet endroit…»

Sur son siège, René se détend et reprend appui comme un taureau cherchant sa posture en reniflant le sol : sa partenaire est là, le jeu va pouvoir commencer. 

A part eux deux, personne ne sait pas ce qui est différent ou encore pas sympa, mais ils sont péremptoirement d’accord. 

Le fils Eric et sa femme Patricia coupent court : « C’est quand même bien sympa cette calanque, il fait bon, le service est gentil, et les poissons sont frais. »

Les coups d’œil de René et Maryse cherchent la ligne de revers : « Non, ce n’est pas comme avant. D’ailleurs, il y a deux tables vides, là, sur le côté ; avant, on n’aurait jamais vu ça. Et puis il y avait une ambiance, un mouvement, des gens sympathiques qui plaisantaient. Ça passait derrière, ça bousculait, de tous les côtés. »

René poursuit : «Je me demande bien pourquoi, ils m’ont demandé de choisir entre les 1e et le 2ème service ? ».

Maryse sa femme, se penchant vers les enfants : « Ça se trouve que les deux tables d’à côté vont rester vides …. Je ne peux pas les supporter ces deux tables vides… »

Eric et Patricia : « C’est quand même bien sympa d’être dans un lieu aussi délicieux, sans se bousculer … »

Passing shot tueur de Maryse, en mode sicaire : « Non, c’est nul ! »

Ainsi pendant tout le repas, l’humeur va s’étendre sur l’appréciation du restaurant, ou sur les familles attablées devant les cabanes alentours.

Puis René change de focus, et se revanche : «Tu as ton téléphone ? Tu as du réseau ? J’aimerai regarder mes résultats de bridge de cet après-midi » ;

Maryse piquée, prend la table à témoin : « Et les miens, ça ne t’intéresse pas, mes résultats de bridge ? »

Patricia élude en plaisantant : « Finalement, vous êtes aussi accro au téléphone que vos petits-enfants… L’impatience est contagieuse ! » 

La discussion badine au creux de la fin de journée d’été, accueille la nuit.

Le bleu profond du ciel tombe sur la calanque, rejoint le revif. Le temps se pose.

René dit tranquillement : « Vous devriez quand même prendre le téléphone de la location, on ne sait jamais, pour voir. »

Maryse réplique vivement qu’elle ne viendra pas ici en vacances. 

Elle regarde tout autour d’elle, comme si elle attendait une bonne amie qui est en retard. 

Les doigts élégants passent sur le décolleté, rajustent un collier de jaspe rouge assorti à son chemisier, puis tapotent fébrilement la table. La main tombe à plat en mettant fin au silence : « Ce n’est vraiment pas comme avant ! »

René se vrille vers l’intérieur du restaurant pour mieux regarder, puis revient vers la table, ravivé.

Il lance le deuxième set : « Ce n’est plus la même patronne, les serveurs non plus : elle a dû vendre … »

Maryse s’allume : «  Et dire qu’ils ont dû bien vendre cette affaire, c’est pitié de voir ce qu’ils en ont fait, quel gâchis ! »

La partie adverse est déconfite : Patricia et Eric ne voient pas de différence par rapport à leur souvenir de l’an dernier…

La note arrive :

– Patricia, vous avez trouvé que vos rougets étaient flambés au pastis ?

Et toi Eric, as-tu mangé du loup ou de la dorade, pourquoi ont-ils mis les deux ?

– Papa, peu importe, c’était marqué poisson du jour. 

Les yeux qui convergent vers la table de la famille sont agacés. 

– Donnez-moi la note, je vais vous dire si c’était le prix annoncé, ça évitera une contestation inutile. 

René refuse de la montrer, et paie sans râler. 

La famille part se balader autour du port avant de revenir vers les cabanes.

Des jeunes pique-niquent sur les galets, René badine en passant près d’eux : « Vous savez ce que j’aime chez ces jeunes ? C’est qu’ils trouvent toujours à passer des vacances bon marché… Visiblement ils ne sont pas du coin, ils mangent là, par terre, c’est formidable et je suis sûr que tous ces jeunes vont dormir dehors. »

Eric et Patricia se regardent de façon dubitative. Ils expriment à nouveau leur contentement pour ce bon restaurant, cette soirée… René grommelle et Maryse remet en place son collier, pensive.

A la surface de l’heure mystérieuse, la vague attend de se dresser, avant de s’échouer sur la grève.

Rien n’est plus comme avant, et pourtant il semble que tout soit là à jamais en attente de partage : les bons souvenirs d’enfance planqués au fond du coeur, les repas d’une nuit d’été où un ange passe et réveille les valseurs…

La lune dont la contemplation active la magie de l’espace-temps, les Céphéides qui rivalisent de scintillement, l’étoile du berger qu’on aime à deviner… Toutes oeuvrent devant la porte de la tendresse… La douceur est parfois inaudible.

Au ciel de la course des hommes, la cause des étoiles.

Leur causerie… Leur cause rit, l’écho aussi…

©Véronique Bonnet 2022

Je n’avais pas écrit sur le blog depuis un moment… Lyssamara, est venue me le rappeler! Alors voici pour ma modeste participation à l’agenda ironique janvier 2022, organisé ce mois-ci par elle. Il s’agissait de raconter une histoire commençant par « Tandis que les autres demeuraient silencieux, il me mit à aller et venir, fouillant dans tous les tiroirs » , de rajouter une deuxième phrase tirée du roman Mme Bovary  » Je m’attache très facilement », sans oublier de placer dans le texte les mots suivants : étendre, galets, sicaire, céphéide, ange, se revancher, et revif, et éventuellement saupoudrer d’un peu d’humour, selon l’humeur… Pour les explications plus fournies et surtout, pour suivre les textes au fur et à mesure de leur arrivée, peut-être pour donner votre participation éventuelle avant la fin du mois, et voter, je vous proposer d’aller sur le site de Lyssamara ( en cliquant sur le lien).

Bonne lecture !

Le temps s’étire (slam)

* photo : L. Cattin

#agendaironique

Tu dis temps difforme, 

Tu dis temporiser

Risette, reset 

En pointillé, titillé,

T’y es… 

Be sex style!

Bretzel liquide, 

Tout fout le camp…

Le temps…

Inconséquent, vacant, grandiloquent,

Manquant, provoquant, impliquant, pratiquant, urticant…

Puis…

Tu ne penses qu’au vide

Te mouches dans ton coude

Et t’appuies sur le vent- à défaut de t’appuyer sur du vent-

Pendant que les hoquets du temps

Egrennent les jours 

D’une année noire

En fin d’année blanche.

Telle une damnée

Elle sonne déjà la fin d’un temps gaté

Sauvegardé, ligoté, piloté.

Un rien me dit alors…

Voici venir le temps des livres-

Le temps de l’âme 

Le temps de ta flamme-

Alors, si je comprends bien,

Voici venir le temps de vivre…

La vie émerge partout, en flux continu. 

Averses passent, arc en ciel en vue

Gouttes unies en fractales et vibrations

Ajoutent voile de douceur au quotidien. 

Un futur pas si éloigné que ça décrit des brochettes de criquets grillés, des consommés de petits animaux rampants à la menthe du jardin, et autres délices locaux à partager avec convivialité autour du feu, dans une version alterne d’un album d’Uderzo ( avec pages Vegan en bonus pour les irréductibles). Certains en regretteraient presque le temps béni de la bombance plus classique des confinements …

Y aurait-il un temps pour tout?

©Véronique Bonnet

( partie finale en musique, bien sûr, compte tenu de notre organisateur du mois ! )

C’est un écrit en participation pour l’agenda ironique, défi d’écriture itinérant, de blog en blog tous les mois. En novembre, le blog Toutloperaoupresque nous proposait de nous inspirer très librement d’Ecclesiaste 3 pour un texte comportant l’expression « Bretzel liquide », et de rajouter un anapodoton, qui est une forme d’anacoluthe ( je ne connaissais pas ces bestioles, aussi, veuillez recevoir toutes mes excuses à l’avance, chers participants et lecteurs si je n’ai pas élucidé ce point-là… qui reste un peu confus en moi…). Pour les explications plus complètes, VEUILLEZ CLIQUER LA OU LA.

et LA POUR AGENDA IRONIQUE KEZAKO *photo L. Cattin

A bientôt !

Et comme tout finit en chansons chez toutloperaoupresque :

Tiempo cubano, heure cubaine … une version très réussie de Chan-chan

Demain, demain, une spéciale qui reporte à demain

Carmina burana
Le reste du temps

One love

Ici jaimelamusiquemaisjenyconnaisrienenenchainement, à vous presquetoutloperaoupresque, merci pour ce thème original de l’agenda ironique où il n’a pas été aisé de faire fondre un Bretzel…

Neuf villes invisibles pour l’an neuf …

#agenda-ironique Par ici pour voter…

Pour l’agenda  ironique de janvier, Janus, mois du passage, s’il en est, je vous demandais d’écrire un « road trip », une déambulation , seul(e) ou accompagné(e), dans une ville, connue, inconnue, imaginaire, terrestre, maritime, céleste… Vous pouviez choisir l’endroit que vous arpentez tous les jours, mais aussi le passé ou le futur. Vous pouviez vous inspirer du livre  » les villes invisibles  » d’Italo Calvino, ou pas trop... Bref, tout était possible! … mais…  Les mots suivants devaient figurer : entrechat, rampe, jaquemart, topinambaulx, dents, dindon. Et le texte devait se finir par la célèbre phrase du petit prince  «  L’essentiel est invisible pour les yeux » 

Lien : https://poesie-de-nature.com/2020/01/04/les-villes-invisibles-agenda-ironique-de-janvier/

Neuf villes invisibles ont vu le jour! J’ai eu grand plaisir à les accueillir, dans leurs différences et dimensions singulières… Vous avez jusqu’à la fin du mois pour terminer de lire et choisir les 3 textes que vous préférez, que vous soyez participants au jeu ou lecteurs de passage (bienvenue à vous! ), et désigner le prochain organisateur pour février, à l’aide des SONDAGES TOUT EN BAS… A bientôt !

-Jobougon : La vibration laisse émerger le grain de sable qui est là : https://jobougon.wordpress.com/2020/01/05/la-vibration-laisse-emerger-le-grain-de-sable-qui-est-la/

-Patchcath : De beaux voyages à raconter :

https://patchcath.wordpress.com/2020/01/15/de-beaux-voyages-a-raconter/

-Poesie-de-nature : Orient express :

https://poesie-de-nature.com/2020/01/14/orient-express/

-Poesie-de-nature : Colores del corazon:

https://poesie-de-nature.com/2020/01/19/colores-del-corazon/

-Victorhugotte : Sextine des villes invisibles

https://victorhugotte.com/2020/01/20/sextine-des-villes-invisibles/

-Chachashire : Sijilmassa :

https://chchshr.wordpress.com/2020/01/21/sijilmassa-agenda-ironique-de-janus-2020/

-Carnetsparesseux : noir d’encre :

https://carnetsparesseux.wordpress.com/2020/01/22/noir-dencre/

-Palette d’expressions : De villes visibles en villes invisibles

https://palettedexpressions.wordpress.com/2020/01/22/1464

-Les mots autographes : Guerre et paix

https://jacou33.wordpress.com/2020/01/25/agenda/

+ une hors délai, mais pas des moindres… par Iotop, « le hasard se lève »

https://ledessousdesmots.wordpress.com/2020/03/17/le-hasard-se-leve/

©Véronique Bonnet

Voici Février et les résultats de notre sondage… : c’est donc le texte Laurence de Palettes d’expression qui est choisi en premier, suivi de Jobougon puis Carnets paresseux!

C’était une chouette récolte ! L’agenda continue ses pérégrinations en février : allez voir chez Jacou « les mots autographes », pour découvrir la nouvelle forme du mois, si Jacou veut bien prendre en charge l’organisation du nouvel AI!

Un grand merci et un grand bravo pour vos participations

https://ledessousdesmots.wordpress.com/2020/03/17/le-hasard-se-leve/

A très bientôt !

Véronique

CHOISIR 3 VILLES INVISIBLES :

Les villes invisibles ( agenda ironique de janvier)

#agenda-ironique




« Les villes comme les rêves sont faites de désirs et de peurs, même si le fil de leur discours est secret, leurs règles absurdes, leurs perspectives trompeuses; et toue chose en cache une autre.

-Moi je n’ai ni désirs ni peurs, déclara le Khan, et mes rêves sont composés soit par mon esprit soit par le hasard.

-Les villes aussi se croient l’oeuvre de l’esprit ou du hasard, mais ni l’un ni l’autre ne suffisent pour faire tenir debout leurs murs. Tu ne jouis pas d’une ville à cause de ses sept ou soixante-dix-sept merveilles, mais de la réponse qu’elle apporte à l’une de tes questions. »

Les villes invisibles , Italo Calvino, ed Folio

Merci de m’avoir désignée pour organiser l’agenda ironique de janvier… Je choisis de poursuivre l’invitation au voyage . De quoi s’agira t-il? 

Les cartes nautiques merveilleuses de Joan Martines proposées par Carnetsparesseux le mois dernier comme thème pour l’AI, m’ont fait dériver sur « les villes invisibles » d’Italo Calvino »… ce merveilleux dialogue imaginaire entre Marco polo et l’empereur Kublai Khan. 

« On ne voit bien qu’avec le coeur. » leur aurait dit le petit prince . 

Pour l’agenda  ironique de janvier, je vous demande donc d’écrire un « road trip », une déambulation , seul(e) ou accompagné(e), dans une ville, connue, inconnue, imaginaire, terrestre, maritime, céleste… Vous pouvez choisir l’endroit que vous arpentez tous les jours, mais aussi le passé ou le futur.

Bref, tout est possible! … mais… 

Les mots suivants devront figurer : entrechat, rampe, jaquemart, topinambaulx, dents, dindon.

Et le texte devra se finir par la célèbre phrase du petit prince 

 «  L’essentiel est invisible pour les yeux » 

A vos claviers si le coeur vous en dit… Nous sommes impatients de vous lire!!

… Pour rappel : Vous pouvez déposer vos textes jusqu’au, disons, 27 janvier, en commentaire, ici. Cela nous laisse temps et loisir de lire, et choisir les 3 que vous préférez. Je ferai une page récapitulative et sondage ( je vais refouiller dans WordPress pour retrouver comment faire le tableau en question …)

A vos plumes! Le premier texte est déjà là, de toute beauté …

Je vous souhaite une belle année 2020!

Véronique

Et pour savoir tout sur l’agenda ironique :

https://carnetsparesseux.wordpress.com/lagenda-ironique-kezaco/

https://differencepropre.wordpress.com/agenda-ironique-ou-es-tu/

L’agenda ironique : le cirque bleu de Chagall

Bon, je me lance… Voici ma participation  pour « Le cirque bleu de Chagall » dans le cadre de  l’agenda ironique avril 2018 organisé par « l’atelier sous les feuilles »

chagall-cirquebleu-a_0

(Le cirque bleu de  Chagall : source)

 

Au cœur de Paris,

Le chapiteau est en imperméable vermillon.

Il apparait comme dans un tour de magie.

Hop, le voilà, sur le terre plein ! Non pas un lapin !

Enfin une fantaisie au milieu des immeubles de la porte Maillot, et des beaux escarpins.

Le cirque Romanès !

C’est bien loin du business ou de la dame patronesse…

Il est tout beau, comme sorti du songe d’un petit à la fenêtre.

Les bâches sont ouvertes, rouges et bleues, en pleine ville,

Je m’approche, impressionnée comme une fillette,

Je suis la première, je m’avance encore.

Il fait noir dedans, je franchis l’entrée.

L’air sent la poussière et le cuir animal,

Le silence et le vide m’absorbent, mais au final,

Les yeux finissent par distinguer, pêle mêle

Harnais posés de côté, cordes savamment nouées, tabouret fait d’un sens interdit,

Table recouverte d’un patchwork indien, ou peut-être turc,

Et voilà le grand rideau orangé, doré et chamarré… les couleurs de  Chagall…

Mais il s’ouvre sur la piste sombre et les strapontins sont  vides. Encore un pas…

« J’arrive », dit l’inconnu, » je vous mets la lumière ! »

Clac ! clac ! J’avance encore… Et soudain… j’entre dans le cirque bleu,

Outremer comme le songe,

comme les étoiles de l’enfance, comme le tableau de Chagall…

J’entre dans le cirque multicolore, en plongeon de lune argentée,

Je pars en voyages lointains, juste là, sur la piste,

Je m’étire en entrechats impossibles,

J’entends les rugissements, les galops élégants de ces chevaux verts sans nuls autres pareils,

L’air se fend de coups de cravache qui ouvrent la sarabande,

Le pantalon de Mr Loyal passe, la jupe gitane ondule et le tambourin sautille,

Le clown triste dessine enfin son sourire,

L’écuyère en tutu scintillant virevolte et s’allonge en poisson chat,

Les danseurs rougeoient sous les yeux médusés,

Les couleurs métamorphosées se dorent aux rampes,

Le temps d’un numéro, dans l’espace-temps survolté, le temps de la lumière,

C’est mieux qu’une prière.

Et toujours, pourtant, le noir attend les artistes transfigurés, là, juste derrière…

Triste vérité sous le chatoyant du rideau, le sourire dessiné se lasse, s’efface.

Rouge patiné reste le sol, de toutes ces fêtes, de tous ces souvenirs,

Rouge palpitant est le cœur aimant de tous ces enfants, petits et grands

Qui passent la porte toute simple du cirque bleu…trouver l’abri du rire.

 

©Véronique Bonnet

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